Jazz In Lyon

L’Amazing Keystone Big Band réactualise avec bonheur le swing du divin Django

Comment faire pour extirper de son écrin une musique quasi sanctuarisée pour en montrer des nuances ignorées tout en en restituant son charme séculaire ? Le grand orchestre et ses étonnants invités – Stochelo Rosenberg, Marian Badoï et James Carter- ont livré un concert complet, mêlant finement tradition et approches nouvelles

Presque incongru. Devant l’Amazing Keystone, cravatés ou empapillonés, Marian Badoï s’asseoit sans plus de manières. Démarre alors entre l’orchestre et cet accordéon nacré de part en part, une de ces étonnantes rencontres propres aux festivals. Elle a pour nom Indifférence, l’un de ces morceaux méconnus ou peu joués de Django Reinhardt et que ce Big Band a décidé de revisiter.

Ici, histoire de laisser toute la place possible à son invité, l’orchestre est tout en retenu, se fond dans cette douce musique qui se diffuse dans le théâtre antique. Qui a dit qu’un accordéon était forcément limité dans les nuances ? Marian Badoï extirpe de son instrument une mélodie étonnante, mêlant mélancolie et quiétude, s’étirant vers un théâtre attentif et silencieux.
Si l’on pouvait hésiter sur l’intérêt, pour un big band de revisiter la musique de Django au XXIème siècle et pas seulement Nuages ou Flèche d’or, cette jolie Indifférence chuchotée par Marian Badoï en compagnie des 17 musiciens de l’orchestre suffit à convaincre.

Avec le big band, trois magnifiques invités

Il en sera ainsi durant tout ce concert où l’Amazing Keystone ne reste pratiquement jamais seul en scène mais préfère, pour un soir, servir d’écrin à quelques superbes invités, le guitariste Stochelo Rosenberg, Marian Badoï et enfin, James Carter, rayonnant et expressif.
C’est d’ailleurs avec lui que ce Djangovision prend une autre tournure, va droit vers la transgression. Jamais sans doute Flèche d’Or n’a connu un tel traitement. Le saxophoniste prend le thème à bras le corps, le transpose avec des accents âpres proches du Brass Fantasy et consorts. Django revisité, libéré. Petit cataclysme. Comme si l’Amazing Keystone, sage jusque là, n’avait attendu que ce moment pour se lancer à son tour. Autre face de Django, de cette musique, très, trop souvent ramenée à ses « tubes ».
Certes, le Big Band sait se tenir et aura fait de la place à Minor Swing et autre Nuages avant qu’on ne se quitte sous la nuit étoilée et divers drones indiscrets. De quoi apprécier, ce n’était pas le plus facile, les arrangements inventés par l’orchestre : comment transposer une musique jouée à l’époque le plus souvent en quintet à un ensemble de 17 musiciens aux lignes de cuivres impressionnantes ? En maître de cérémonie Jon Boutellier, sax et l’un des trois arrangeurs attitrés du Big Band se charge d’éclairer les personnes présentes. Ici, l’Amazing Keystone ne se contente pas de l’héritage ou de l’approche de l’American Swing Band. Il impose au contraire son approche, nourrie du recul et de toutes les influences qu’il transporte, lui et ses membres. Comme un prolongement du guitariste disparu en 1953, respectueux mais pas que…..

Le grand orchestre aura quelque peu bousculé son ordre de marche

Pour l’occasion, et en raison de ces invités, l’orchestre aura quelque peu bousculé son ordre de marche. Moins de solos de la part de ses membres à l’exception de David Enhco, de Bastien Ballaz, dans un trombone « velouré », de Kenny Jeannet et de Patrice Maradan dont la contrebasse a su imposer son quasi chuchotement aux quelque 5 000 personnes venues découvrir ce Djangovision. Quant à Thibault François, il sut imposer, pas facile, sa guitare fluide et insistante, même aux côtés de l’ébouriffant Stocheto Rosenberg appelé à disserter sur Djangology.
Bref, ce Djangovision conçu et mis au point par l’Amazing Keystone Big Band parvient à ses fins : éclairer Django Reinhardt d’un jour nouveau, intéressante exploration d’un phénomène musical placé trop vite sur un piédestal propret. Et qu’on n’avait pas osé trop remuer jusque là…

Un Gipsy Unity de belle facture

Gardiens du temple « Django », Angelo Debarre et Marius Apostol s’imposent d’emblée. Ils sont cinq assis face au public : trois guitares dont deux rythmiques, une contrebasse et un violon. L’hommage est sauf. Apostol ne porte pas de chemises à fleur comme aimait tant le faire Stéphane Grapelli mais abhorre une veste rouge impec. De quoi suivre son archet méticuleusement.

Le violoniste aura fait sensation. Tout comme Angelo Debarre, appliqué plus que de coutume, heureux de pouvoir, durant une heure, concrétiser sa musique devant un public solidaire. Ce Gipsy Unity est bien rôdé, convaincant et appliqué. Inattendu, le solo rapide mais profond de William Brunard retentit magnifiquement. Pas de doute, 60 ans après sa disparition, Django inspire toujours.

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