Jazz In Lyon

La Revue De Disques – Septembre 2020

Comme à toutes les rentrées, l’offre parmi les nouveautés est encore pléthorique et le virus n’a pas ralenti la course des musiciens sur ce point. Il a fallu choisir et trancher dans le vif du sillon…

CAT TOREN’S HUMAN KIND . Scintillating Beauty

Panoramic Records

Xavier Del Castillo  : saxophone
Yoshie Fruchter : oud
Cat Toren : compositions, piano
Jake Leckle : contrebasse
Matt Honor : batterie
Eivind Opsvik, Chris Gestrin : percussions

Cat Toren est une pianiste dont l’univers musical se démarque résolument des genres en n’étant que lui-même. Emprunte de spiritualité, sa musique évolue dans des sphères aux flux mélodiques intenses qui côtoient l’abstraction lyrique avec conviction. Dans son quintet, la présence d’un joueur d’oud bouscule les codes et donne une dimension autre au groupe qui aime à naviguer dans les méandres de tonalités sombres. Inspirée entre autres par deux citations de Martin Luther King, Cat Toren laisse sa musique grande ouverte sur l’improvisation collective et l’influence inhérente à chacun des musiciens est le fil conducteur qui offre à l’exploration ses meilleures chances d’aboutir à un ensemble unificateur. Cathartique par essence, la musique de Cat Toren se veut un baume sur les blessures (elle a d’ailleurs un diplôme de formation en guérison sonore) que le monde moderne nous inflige. A l’écoute, ce disque présente une forme musicale à combustion lente, comme un feu dans l’âtre qui crépite paisiblement mais ne cesse de surprendre par la soudaineté de ses éclats. Une belle découverte.

 

https://www.cattoren.com


TERJE RYPDAL . Conspiracy

Ecm

Terje Rypdal : guitare
Ståle Storløkken : claviers
Endre Hareide Hallre : basse, basse fretless
Pål Thowsen : batterie, percussions

Terje Rydal, pilier de la maison Ecm, grand spécialiste de l’atmosphère à la norvégienne, genre « il y a plein de lumière entre chien et loup » (mais c’est pas Carthagène non plus), poète de la stratocaster, sort son premier album studio depuis vingt ans, ce qui ne signifie pas qu’il n’a rien fait pendant tout ce temps. A 73 ans, il en profite pour faire un retour à ses origines avec un disque planant et sauvage dans la veine de ceux qui l’ont rendu célèbre (Odissey, Waves, etc). On ne va pas s’en plaindre, même si à l’époque ce n’était pas toujours facile de retourner la galette vu que les cakes avaient un goût bizarre. Il y a donc un peu de rock psychédélique dans cet album et une bonne dose d’ambiances et de couleurs propres à faire décoller les rêveurs impénitents se sentant à l’étroit dans leur réalité. Terje Rypdal possède depuis toujours un sens de l’intrigue qui est la marque véritable de sa musique. Certains le détestent, d’autres ne jurent que par lui. Nous, nous sommes entre les deux et l’on prend plaisir à écouter cette musique riche de nuance de manière ponctuelle. Cet excellent opus est donc pour nous un disque de salon, pas un disque de chevet. On vous le conseille cependant pour toutes les qualités évoquées ou non qu’il recèle.

 

https://www.ecmrecords.com/artists/1435045733/terje-rypdal


ADONIS ROSE . piece of mind, Live at Blue Llama

Storyville Records

Adonis Rose : batterie
Tia Fuller : saxophone alto
Maurice Brown : trompette
Sasha Masakowski : chant
Miki Hayama : piano
Jasen Weaver : contrebasse

Il est clairement dit dans les notes que ce sextet se référent au VSOP quintet d’antan. Comme ça, vous savez où vous mettez les pieds. Et de fait, c’est bien de cela qu’il s’agit. Ce n’est cependant pas une pâle copie de l’original. Avec d’excellents musiciens, notamment l’incandescente Tia Fuller au saxophone), le batteur met un point d’honneur à faire sonner la musique d’un groupe et pas seulement celle que le leader a dans la tête. Capté live dans un club doté d’un chaleureux public, la formation déroule son savoir-faire avec un groove à réveiller les morts. Très seventies dans l’esprit, plutôt contemporain dans l’exécution, la musique jouée ici met en valeur les solistes ; et que je te pousse les aigus par ci, et que je fulmine dans les graves par là. De quoi faire réagir les auditeurs du disque comme le firent les spectateurs lors de l’enregistrement du Cd. Avec enthousiasme. Le Rhodes et sa chaleur caractéristique habille tout cela d’une sonorité à l’onctuosité sexy (nettement plus 70’s que 2020 : si avec ça je m’fais pas tirer dessus…) et le tout s’écoute sans déplaisir aucun. C’est même plutôt cool de revisiter de la sorte tout un pan musical qui ne manquait pas de piquant. A vous de vous faire une idée. Let’s groove…

 

https://www.facebook.com/iamadonisrose/


OJKOS . Alea Jacta Est

Odin Records

Henriette H. Eilertsen : flute & alto flute (solo on track 9/10)
Rakel E. Paulsen : flute
Marie Rotevatn : clarinette / clarinette basse
Tina L. Olsen : saxophone baryton
Richard Köster : trompette (solo on track 5)
Jakob E. Myhre : trompette (solo on track 8)
Lyder Ø. Røed : trompette (solo on track 4)
Johannes F. Solvang : trombone
Andreas Rotevatn : trombone (solo on track 1/6/8)
Steffen Granly : tuba
Kristoffer Håvik : rhodes / moog (solo on track 3)
Arne Martin Nybo : guitare
Mike McCormick : guitare / Laptop (laptop solo on track 9)
Alexander Hoholm : basse
Knut K. Nesheim : vibraphone, percussion
Henrik Lødøen : batterie

Ojkos ? Orkesteret for jazzkomponistar i Oslo, en norvégien dans le texte. Soit seize musiciens compositeurs, réunis depuis 2018 sous la houlette d’Andreas Rotevatn. Prêts à tout pour défricher ce qui peut l’être encore, ils font preuve dans ce disque d’une bonne dose d’inventivité. Le résultat est franchement intéressant. On ne sait pas vraiment de quoi il s’agit, du jazz ou autre chose, un genre à part ? Quoi qu’il en soit, c’est une musique qui ne manque pas de sophistication, dans la composition comme dans le traitement, et qui s’avère au final assez simplement lisible. Inspirée par Stravinsky, Davis, Quincy Jones ou encore Avicii (un DJ décédé), elle déroule des climats changeants et toujours mélodiques qui séduisent aisément. Sa particularité réside dans la façon de procéder de tromboniste qui dirige l’ensemble. Après l’enregistrement en studio, il revient sur le matériel enregistré et ajoute ce que les musiciens ne peuvent pas faire en direct. C’est ainsi que l’on croise la voix Charles Manson bidouillée à l’autotune et d’autres sonorités issus de l’imagination fertile du musicien précité. Ce n’est certes pas révolutionnaire. Les Beatles sont parmi les pionniers, ou encore Teo Macero avec Miles, époque « On the corner », entre autres. Mais il faut bien dire ici que l’enregistrement ainsi peaufiné est très attractif.

 

https://www.ojkos.no


J.D. ALLEN . Toys / Die Dreaming

Savant Records

J.D. Allen : saxophone tenor
Ian Kenselaar : contrebass
Nic Cacioppo : batterie

JD Allen est un musicien discret. Cela ne l’empêche aucunement de poursuivre le chemin qu’il se trace et qui confirme, d’enregistrement en enregistrement, qu’il est un artiste sur lequel on peut compter. Dans ce trio sans soutien harmonique, sa personnalité s’impose sans fard mais avec force. En s’appuyant sur une rythmique à la puissance nuancée, il laisse parler sa fluidité et la met au service d’un swing efficace et inspiré. Doté en outre d’un vibrato remarquable, il sait narrer sa musique avec une originalité patente en n’éternisant pas ses phrases, donnant ainsi une forme de nervosité souple à son discours. Quelque part en Sonny Rollins et John Coltrane, JD Allen et sa rythmique (Ian Kenselaar et Nic Cacioppo, tous deux excellents en remplacement de Gregg August et Rudy Royston appelés vers d’autres cieux) oscillent entre avant-garde et tradition et nous livrent des mélodies pures exprimant avec justesse une sombre gravité et un lyrisme en demi-teinte. Approchant la cinquantaine et revenu de tout, JD Allen ne s’occupe plus que de sa musique. Il la creuse encore et encore et la laisse parler pour lui en toute sincérité, entre braises incandescentes et quête de sérénité.

 

https://www.facebook.com/cross.damon.3/


DOMINIK WANIA . Lonely Shadows

Ecm

Dominik Wania : piano

Formé à la musique classique, le pianiste polonais Dominik Wania ne fait rien pour nous en dissuader, même (ou surtout) quand il enregistre pour Ecm. Cela ne nuit cependant en rien à ses qualités d’improvisateur, ce qu’il démontre brillamment dans ce disque qui pourrait selon nous devenir une référence incontournable du catalogue de Manfred Eicher. L’ensemble de la musique jouée dans cet album donne une impression de mouvance liquide dans laquelle évoluent les arabesques que le pianiste dessine au gré de sa fantaisie. Avec un sens du rythme superfétatoire, Dominik Wania alterne les ambiances au sein même d’un discours dont le chatoiement n’est pas la moindre des qualités. En toute honnêteté, nous avons plus souvent songé que nous écoutions un disque de musique classique plutôt qu’un disque de jazz. Et cela ne nous a pas dérangés plus que cela. Quand la musique est belle, peu importe son genre supposé. Dominik Wania possède un univers qui lui est propre et il sait parfaitement traduire musicalement les émotions contenues qu’il recèle.r Son sens de l’espace et sa respiration pour le moins originaux l’atteste tout au long de cet album auquel l’on s’attache sans même s’en rendre compte.

 

https://culture.pl/en/artist/dominik-wania


 

 

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