Jazz In Lyon

La Revue De Disques – novembre 2023

SIMÓN WILLSON . Good company

Fresh Sound New Talent

Simón Willson : contrebasse, compositions
Isaac Wilson : piano
Jonas Esser : batterie
Jacob Shulman : saxophone tenor (1.6.9.10)

Né au Chili et basé à Brooklyn, le contrebassiste Simón Willson et ses musiciens présentent un disque où le brut le dispute au raffiné. Par moment, la liberté de jeu s’y exprime pleinement, à d’autres, c’est la structure qui prime. En oscillation entre ces deux pôles, le rio et l’excellent saxophoniste, qui apparaît sur quatre morceaux, arrivent à tenir fermement leur cap, celui d’un jazz contemporain, bien assis sur ses bases, ne manquant jamais de créativité. Le leader affirme que dans son esprit ce disque parle de Bach, Monk et Buñuel traînant sur une plage au Brésil, Thom Yorke et Ornette buvant du pisco dans un bar de Santiago, Mingus et Roberto Bolaño partageant des cigares à La Havane, et Oscar Pettiford, Wilbur Ware, Thomas Morgan et moi-même discutant à New York. À l’écoute, nous ne sommes pas loin de lui donner raison car c’est de la multitude que peut émerger une voix singulière. La musique de Simón Willson possède cette singularité, notamment grâce à l’osmose entre ses musiciens et lui. C’est peut-être cela la bonne compagnie qui donne son titre à l’album. En tout cas, c’est à écouter.

https://www.simonwillson.net/


  JENNIFER WHARTON’S BONEGASM . Grit & grace

Sunnyside Records

John Fedchock : trombone
Nate Mayland : trombone
Alan Ferber : trombone
Jennifer Wharton : trombone basse, voix
Michael Eckroth : piano
Evan Gregor : contrebasse
Don Peretz : batterie
Samuel Torres : percussions (2.4.6.7.9)

Un octet avec quatre trombones aux avant-postes, dont le basse de la leader, ce n’est pas tous les jours qu’on en croise. La curiosité l’a donc emporté et a sorti cet album du lot des multiples propositions musicales qui nous tombent dessus jour après jour. Grit & grace signifie « du cran et de la grâce ». Pour tout dire, le titre de l’album n’est pas usurpé. Il faut un certain culot pour proposer une telle formation et la musique qu’elle joue n’est pas exempte de grâce ; c’est même soyeux et fluide, aérien et léger sans mièvrerie. Les compositions se tiennent parfaitement et l’ensemble est un déroulé musical au sein duquel le trombone basse se présente en majesté, bien soutenu en toute occasion par le reste du groupe. Plutôt joyeux et vivant, ce disque plein de fraîcheur est le troisième de la formation. Pas étonnant dès lors que tout soit réglé comme un mouvement d’horlogerie (suisse bien sûr) avec un swing discret et efficace et que les arrangements relèvent de l’orfèvrerie. On vous le laisse découvrir.

https://jenniferwharton.com/bonegasm/


  BILLY MOHLER . Ultraviolet

Contagious music

Billy Molher : basse
Nate Woods : batterie
Chris Speed : saxophone tenor, clarinette
Shane Endsley : trompette

Le nouveau disque du bassiste Billy Mohler, avec une bande de tueurs (voir le line up), est un régal qu’il serait dommage d’ignorer. La musique est généreuse et juste assez mélodique, bien qu’elle flirte avec les bordures, pour embarquer l’auditeur d’un bout à l’autre du voyage. Elle est souple et dynamique à souhait, les chorus et autres improvisations se succèdent avec une réelle harmonie. C’est une musique créative, un jazz acoustique de son temps, perpétré par des musiciens bien connus pour leur excellence et leur goût exploratoire. Nous dirions presque qu’elle est ensoleillée, mais bon, le leader vit à Los Angeles, n’est-ce pas ? Toujours est-il qu’à aucun moment nous ne nous sommes ennuyés car l’espace musical que le quartet occupe est original. Et, s’il n’est pas à la pointe de l’avant-garde, il vit néanmoins dans une contrée dont la nouveauté se base sur des alliances de timbres, une percussivité astucieuse et des lignes mélodiques richement ouvragées. Billy Mohler et ses acolytes se situent là dans un jazz Côte Ouest assez nouveau pour être remarqué, loin de la grande pomme. A écouter évidemment.

https://www.billymohler.com/


OHAD TALMOR . Back to the land

Intakt Records >>>>>sortie reportée, soyez patients

Ohad Talmor : saxophone tenor, clarinette basse, Prophet 10, mini moog
Chris Tordini : contrebasse, basse électrique
Eric McPherson : batterie
Joel Ross : vibraphone
David Virelles : piano
Leo Genovese : piano, Moog, sequential 6 tracks
Shane Endsley, Russ Johnson : trompette
Denis Lee : clarinette basse

Invités :
Grégoire Maret : harmonica
Adam O’ Farrill : trompette

Ce double album est né d’une découverte étonnante : des bandes DAT sur lesquelles on peut écouter Ornette Coleman et Lee Konitz répéter de nouvelles compositions (accompagnés par Charlie Haden et Billy Higgins) datant de 1998. Ohad Talmor a donc transcrit ces dix titres jamais publiés et c’est ce que l’on entend dans ce disque, que ce soit en trio, en quintet, en sextet ou en septet. Pour faire bonne mesure, le leader a ajouté un autre morceau de Coleman, deux de Dewey Redman, et un de Keith Jarrett. Toute cette musique, quelle que soit la formation, est belle et grande. Le second cd est moins acoustique mais cela ne change rien à l’affaire et c’est toujours aussi finement travaillé. Tout au long des morceaux, c’est la fluidité des improvisations que l’on remarque d’abord et ensuite l’étonnante originalité de l’ensemble. C’est de la très haute couture doublée d’une réelle inspiration qui rend cet hommage au maître indispensable. Aucune emphase, juste de la musique. De quoi ravir toutes les oreilles que l’exploration avant-gardiste n’effraye pas. Étonnant qu’Ornette Coleman sonne encore avant-gardiste aujourd’hui ? Pas vraiment, et ce d’autant plus que l’équipe de musiciens qui s’est immergée dans sa musique est à la hauteur de son ineffable talent.

https://ohadtalmor.com/


TORI FREESTONE & ALCYONA MICK . Make one little room an everywhere

Autoproduction ?

Tori Freestone : saxophone, flute, triangle, compositions
Alcyona Mick : piano, compositions
Brigitte Beraha voix (3.6.8.9)
Natacha Atlas : voix (8)

Tori Freestone et Alcyona Mick signent là leur deuxième album après Cris Cross paru en 2018, si mes souvenirs sont bons. Le titre du disque est un vers emprunté à John Donne (1572-1631) chef de file de la poésie métaphysique anglaise en son temps. La symbiose entre les deux artistes relève de l’évidence absolue. On retrouve sur plusieurs morceaux Brigitte Beraha au chant, mais également Natacha Atlas sur un titre naturellement orientalisant. La grande liberté qui habite les deux artistes les emmène sur les chemins d’une exploration qui enchaîne les subtilités dans des atmosphères changeantes, audacieuses bien souvent, qui interpellent sans cesse l’auditeur. L’apport vocal de Brigitte Beraha participe pleinement à l’élaboration de l’univers particulier de cet enregistrement qui baigne dans une musicalité magique. C’est du grand art. A la flûte ou au saxophone, Tori Freestone des sonorités chaleureuses, avec un beau grain, et trace des lignes mélodiques originales. Alcyona Mick quant à elle possède une palette étendue qui complète parfaitement le travail de sa condisciple. on le sait, l’art du duo est toujours un défi. Les deux musiciennes le relève avec une redoutable aisance, à croire que pour elles c’est une seconde nature. Avec ce disque, selon les titres, 1+1=1, 1+1+1=1 et 1+1+1+1=1. Pas très mathématiques, avouons-le, mais diablement musical. Un must que vous ne pouvez ignorer.

https://www.torifreestone.com/
https://www.alcyonamick.com/albums


JOHN SCOFIELD . Uncle John’s band

Ecm

John Scofield : guitare
Vincente Archer : contrebasse
Bill Stewart : batterie

John Scofield, il doit avoir trouvé le truc qu’on appelle élixir de jouvence. Le temps passe et il surprend encore. Avec ce double album très inspiré, ses collègues et lui font preuve d’une verve épatante. Dès les premières notes, on sent que le trio va affronter les reprises et les compositions originales avec entrain, finesse et détermination. De fait, ces trois-là sont capables en toute circonstance d’emprunter un chemin ou un autre et demeurer au sommet de leur expression musicale. Rien ne semble pouvoir les déranger. Quand tous les possibles sont à ce point réunis, la musique enregistrée, dans toute sa variété, fait des étincelles. Qu’il s’accapare le dylanien Mister Tambourine Man ou le Old Man de Neil Young (il existe une belle version de ce titre par Brad Mehldau), le trio impose une vision personnelle qui les renouvelle. Le swing et le groove sont bien là et la dynamique qu’ils font naître s’apparente à une machine de précision (si la musique n’était pas aussi habitée, ce serait quasi chirurgical tant tout se tient). La légèreté de Bill Stewart, notamment sur les cymbales, les lignes profondes de Vicente Archer, la précision dont ils font preuve, sont une source de contentement que l’écoute renouvelée affirme plus encore. Avec ces deux musiciens à ses côtés, John Scofield est aérien. L’étendue de son registre est telle que tout passe comme une lettre à la poste, quels que soient les chemins de traverse empruntés. Jazz funk par ici, jazz rock par là, juste jazz ailleurs, les ambiances se succèdent avec une unité de style en tous points époustouflante. A ce niveau de musicalité, d’énergie créative et d’éclectisme maîtrisé, ils ne sont pas nombreux à naviguer, et ce trio est à la proue de l’embarcation, le nez au vent. Indispensable.

https://www.johnscofield.com/


HENRI TEXIER . An indian’s life

Label Bleu


Henri Texier : contrebasse, compositions
Himiko Paganotti : voix
Carlos Nardozza : trompette, bugle
Sébastien Texier : sacophone alto, clarinette, clarinette alto
Sylvain Rifflet : saxophone ténor, clarinette
Manu Codjia : guitare
Gautier Garrigue : batterie

La contrebasse d’Henri Texier chante encore. Dans cet album, le troisième à connotation amérindienne en trente ans, elle possède encore et toujours ce charme particulier constitué d’une rondeur expressive et d’une sonorité ample, à nulle autre pareille. Et elle chante d’autant mieux qu’il est bien accompagné. De côté-là, on ne s’inquiète pas, il sait choisir ses acolytes et surprendre encore. Ici, c’est Himiko Paganotti qui étonne, non par ses qualités que l’on connaît depuis longtemps, mais par son contre emploi qui s’avère être amplement justifié et judicieux. Quant à la musique, elle correspond en tout point à ce que l’auditeur averti attend : un mélange de mélodies et d’embardées franches qui font sens. Les paysages qui naissent de cette musique ont un goût immodéré pour la grandeur des espaces organiques où s’exprime la puissance de la terre. C’est par ce biais que l’on retrouve l’indianité vivante du titre de l’album. Les rythmes sont d’une rugosité tellurique qui éloigne du propos musical la plus insignifiante des fadeurs. À l’écoute, on se surprend à penser à Jim Pepper, c’est vous dire si l’authenticité du discours est prégnante. Un disque à écouter bien sûr.


https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Texier

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