Jazz In Lyon

La Revue De Disques – Mars 2022

JEAN-MARC FOLTZ & STEPHAN OLIVA . Indigo

Vision fugitive

Jean-Marc Foltz : clarinettes
Stephan Oliva : piano

L’hommage à Ellington est presque un standard dans le monde du jazz depuis que feu le Duke est allé voir ailleurs comment sonnent les notes. Les deux protagonistes du dit hommage se connaissent depuis longtemps tout comme ils maîtrisent le vocabulaire ellingtonien. C’est suffisant pour imaginer ce que pouvait être ce disque. De fait, à l’écoute, c’est autour de la nuance et de la délicatesse que s’est construit cette ode. La finesse dans l’approche du thème et dans les improvisations qui en découlent, de la part de Stephan Oliva et Jean-Marc Foltz, c’est une évidence. Ce serait presque banal si ce n’était pas si beau. Car de la beauté, dans ce disque envoûtant, il y en a à chaque seconde. Rien n’est gratuit ou propice à l’expressionnisme ronflant dans chacun des titres abordés. C’est plus dans l’intimité offerte et un désir de partage qu’agissent le pianiste et le clarinettiste. Empruntant à tous les subtils états de la musique du maestro, ils évoquent dans une forme kaléidoscopique un univers incontournable du jazz, un socle, qui irradie encore aujourd’hui et bien évidemment pour longtemps. Douceur et rêverie sinueuse sont au rendez-vous, inventivité et respect aussi. Rien de passéiste là-dedans. Juste de la musique dont les airs nous font souvenir (le temps passe) que l’excellence est intemporelle et que l’intemporel en beau coreligionnaire de l’illimité apaise et ouvre des paysages insoupçonnés à ceux qui pensent que l’avenir est dans le présent du passé.

https://www.visionfugitive.fr/fr


ROMAIN PILON . Falling grace

Jazz&people

Romain pilon : guitare
Yoni Zelnick : contrebasse
Jeff Ballard :

  • A notre connaissance, c’est la première fois que le guitariste consacre un disque à des standards anciens ou modernes. Avec Yoni Zelnick et Jeff Ballard, il forme un trio interagissant de fort belle manière autour de thèmes triturés par des imaginaires fertiles mais néanmoins respectueux de la source. En toute occasion, ce qui saute aux oreilles, c’est l’élégance de la forme et le souci de la note juste, celle dont on a besoin, auditeur et musicien ensemble, pour se sentir en phase avec la musique. A ce goût marqué pour la justesse, Romain Pilon et ses collègues ajoutent une grande dose d’originalité dans le discours qui fait toute la différence avec nombre de trio guitare/contrebasse/batterie existants. Résolument moderne, le trio sait faire monter la pression sans jamais déroger à son credo : la musique est l’essentiel et le reste importe peu sinon pas. Également, l’espace offert au silence est à l’évidence le quatrième larron du trio. Il donne un relief étonnant à des notes qui souvent passent inaperçues ou au second plan. Autre fait notable, nous avons du mal à rattacher Romain Pilon à l’esthétique particulière d’un de ses illustres prédécesseurs (on ne manque pas d’idées cependant) et cela nous permet d’affirmer qu’il est lui-même. C’est plutôt bon signe. Naturellement, vous êtes priés d’écouter son disque.

https://www.romainpilonguitarist.com/


JULIETA EUGENIO . Jump

Greenleaf Music

Julieta Eugenio : saxophone ténor
Matt Dwonszyk : contrebasse
Johnathan Barber : batterie

Le trio saxophone / contrebasse / Batterie est exigeant avec les musiciens qui s’y collent. Dans le cas de Julieta Eugenio, jeune saxophoniste argentine installée au États-Unis, et de ses acolytes, cela se passe très bien. Là où l’on observe chez d’autres un besoin de performance survitaminée, Julieta Eugenio s’attache à développer, tout au long de l’album, une musique existentielle qui trouve ses clefs dans l’intériorité. Et c’est absolument parfait. Le swing discret porte souvent les mélodies fines et déliées vers des moments de musicalité intenses. L’interplay entre chacun des membres est particulièrement affûté et l’impression de fluidité qui en découle n’est pas qu’une impression car la musique coule véritablement comme une évidence : complexe quelquefois, mais toujours accessible, le flux musical du trio semble évoluer « in a sentimental mood » où chacun porte sa parole avec une justesse qui flirte avec l’infaillibilité. Ce disque est le premier disque de Julieta Eugenio et, de notre point de vue, avec une telle maîtrise et un tel feeling, le futur lui appartient. A ne pas manquer.

https://julietaeugenio.bandcamp.com/album/jump


TATANKA . Forêts

La bisonne

Emmanuelle Legros : trompette, bugle & voix
Guillaume Lavergne : piano, calviers
Corentin Quemener : batterie, percussions

Avec leur deuxième album, le trio Tatanka confirme son statut particulier de formation marquée du signe indien. Avec des mélodies toujours aussi claires et des détours toujours aussi surprenants, Emmanuelle Legros et ses complices parcourent les grands espaces avec une énergie maîtrisée qui sait cependant ouvrir les possibles, et ils sont nombreux, que leur thématique permet. Entre violence passagère et introspection poétique, la musique du trio varie les timbres et les approches, constituant par là-même l’univers singulier qui est le leur. Tatanka résonne en profondeur et scintille de multiples éclats finement ciselés. Dans les vastes prairies où s’ébat le trio, de beaux moments de paix succèdent à des accès vibratoires intenses, comme quand le vent se lève et que les frissons nous rappellent à l’ordre. Dans cette immensité musicale pleine et entière, c’est l’attention portée aux détails qui l’habitent qui fait la différence. Tatanka a des yeux pour voir, des oreilles pour entendre et le bon goût nécessaire pour en tirer une moelle gorgée de senteurs riches. Une invitation au voyage magnifique avec en arrière-plan la grandeur de l’indianité, sa capacité à lire le monde, et, forcément, les douleurs dévastatrices que lui infligea la colonisation sans pour autant réussir à la réduire à néant.

https://www.facebook.com/TatankaTrio/


JAKOB MANZ / JOHANNA SUMMER . The gallery concerts I

Act Music

Jakob Manz : saxophone
Johanna Summer : piano

A tous les deux, Jakob Manz et Johanna Summer n’atteignent même pas les cinquante ans ! Comme quoi on peut être jeune et signé par une grande maison de disque (en Allemagne). Il faut dire que le talent ne leur manque pas. Si nous ne connaissions pas le saxophoniste, nous avions déjà repéré et apprécié la pianiste par le biais de son disque kaléidoscopique sur Schumann. Leur duo capté en public est un modèle d’osmose musicale et le dialogue est toujours fécond. Le lyrisme mélodique qu’ils développent sur les thèmes de Manz comme sur les reprises ne souffre d’aucune fadeur. Johanna Summer, ancrée dans la profondeur, offre à Jakob Manz la possibilité de démonter l’étendue de son (jeune) talent et, quand elle prend la main, elle déroule un jeu extrêmement travaillé qui, à l’écoute, n’en demeure pas moins très naturel. Ce n’est pas pour rien que son illustre prédécesseur, Joachim Kuhn pour le citer, ne tarit pas d’éloges à son égard. Et, assis devant nos enceintes, nous sommes entièrement en phase avec son jugement. Un album plein de fraîcheur et de liberté avec des musiciens qui osent et peuvent se le permettre. Sans l’ombre d’un doute. A suivre de très près.

https://www.facebook.com/johannasummer.piano


OLIVIER CALMEL DOUBLE CELLI . Métamorphoses

Klarthe Records

Olivier Calmel : piano & compositions
Johan Renard : violon
Frédéric Eymard : alto
Xavier Phillips : violoncelle
Clément Petit : violoncelle
Antoine Banville : batterie & percussions

Voilà un sextet sous influence se référant à Prokofiev, Bartók ou encore Ligeti, et même Roger Calmel, père du pianiste. Ne cherchez pas le swing (encore que) et voyez l’exercice musical qu’il s’impose et qu’il nous propose comme une aventure défiant les codes. Si l’on s’en tient aux noms de compositeurs cités plus haut, cela pourrait être abscons et rébarbatif. C’est tout le contraire. Débordant d’énergie et d’idées, le groupe nous jette aux oreilles une musique où la polyrythmie se sent bien, où la métrique emprunte des chemins détournés et où les textures ne manquent jamais d’épaisseur. Bourrées de surprises auditives, la musique du sextet ne laisse pas beaucoup de répit à l’auditeur et l’improvisation sur les thèmes complexes ouvrent de grands espaces propices à la rêverie. Sur le fil, entre deux mondes qu’il réunit, jazz et musique de chambre, Olivier Calmel réussit un tour de force que d’autres ont essayé d’accomplir avant lui, mais à notre avis, pas avec une telle réussite. La raison ? Il y a de la vie dans ce disque, et même une joie de vivre par cette musique. L’académisme ronflant n’y trouve pas sa place et c’est très bien comme ça.

https://www.oliviercalmel.com/double-celli


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