Jazz In Lyon

La Revue De Disques – Mars 2021

Le printemps revient ! Pas les concerts hélas… Les musiciens ne sont pas réduits au silence pour autant. Leur musique continue à vivre à travers leurs enregistrements. Et c’est heureux.


LARA SOLNICKI . The one and the other

OutsideInMusic

Lara Solnocki : voix
Peter Lutek : saxophone alto, clarinette électro-acoustique, basson
Hugh Marsh : violon électrique
Jonathan Goldsmith : claviers, électronique, basse, guitare
Rob Piltch : guitare
Scott Peterson : contrebasse, basse
Rich Brown : basse
Davide Di Renzo : batterie

Lara Solnicki fait peu de disque et quand elle sort un nouveau, on le remarque car elle est détentrice d’un univers musical qui n’appartient qu’à elle. Dans cette sorte de fusion post-moderne, voire très actuelle, des courants jazz, elle invente un chemin sur lequel la poésie et l’improvisation sont prégnants. En confrontant textes et musique comme elle le fait, l’on sent naître des tensions fortes qui structurent les schémas narratifs. L’audace ne lui manque pas et, bien épaulée par son groupe, avec à sa disposition quatre octaves, elle est capable d’embarquer sans coup férir l’auditeur dans ses poèmes sonores, qui sous certains aspects scénaristiques se rapprochent du cinéma. La chanteuse canadienne sait en outre manier les palettes et texturer ses compositions, sans jamais lasser, laissant germer ainsi des émotions subtiles ou nettement tranchées, même quand elle se contente de dire son texte plutôt que de le chanter. Les climats se succèdent dans une unité de style démontrant toute la fine conceptualité d’un travail impressionnant à bien des égards. Quant à sa voix, elle est habitée par un monde étrange dont les intérieurs en clair-obscur expriment un large éventail de sensations pour le moins envoûtantes. Ne passez pas à côté de cette musicienne et poète rare (trois albums en dix ans).

http://larasolnicki.com/


DIMITRI NAIDITCH . Ah vous dirai-je…Mozart

Dinaï Records

Dimitri Naïditch : piano
Gilles Naturel : contrebasse
Arthur Alard : batterie
Cynthia Abraham : voix (2)

Après Jean Sébastien Bach en 2019, Dimitri Naïditch, pianiste ukrainien insatllé en France depuis longtemps, continue sa série « New Time Classics » et aborde un autre monument du classique, le génial Mozart. Rien Moins. Avec les mêmes acolytes pour la rythmique (Gilles Naturel à la contrebasse et Arthur Alard à la batterie) il continue un travail de réinterprétation fait preuve d’audace et savoir-faire. Assurément, les trois musiciens s’entendent comme larrons en foire et aiment à paraître légers. Il suffit d’écouter le résultat de leur travail pour comprendre que derrière cette apparente insouciance Dimitri Naïditch et ses deux collègues de jeu font un truc de tueur patenté : ils savent être gracieux, tendres et inspirés par la magie de l’instant, élégants et distingués, bourrées d’une énergie communicative… Bref, ils sont très très mozartiens. Et comme Wolfgang Amadeus était un peu un martien, leur trio a su voler haut dans un espace musical virtuose bien vivant, empreint de fraîcheur et vraiment très plaisant à écouter. Il serait dommage de vous priver d’un moment musical qui transmet une joie de vivre vivifiante.

http://www.dimitri-naiditch.com


WES MONTGOMERY . The Ndr Hamburg Studio Recordings

Jazzline Classics

Wes Montgomery : guitare
Hans Koller : saxophone alto
Johnny Griffin : saxophone ténor
Ronnie Scott : saxophone ténor
Ronnie Ross : saxophone baryton
Martial Solal : piano
Michel Gaudry : contrebasse
Ronnie Stephenson : batterie

Un all-stars européen en 1965 chez les fondus de jazz de la Ndr de Hambourg, c’est vachement bien, surtout si dans le lot on trouve Martial Solal. Quand on ajoute un Johnny Griffin et qu’on place en tête de gondole Wes Montgomery (le roi du pouce), c’est encore plus que mieux que bien. Ca le fait cher grave comme ils disent maintenant, d’autant que le Wes, il est vraiment au sommet de son art. Hélas, trois ans plus tard, il va décéder d’un arrêt cardiaque, à 45 ans. Notons au passage qu’entre 1966 et 1968 il s’était consacré essentiellement à la pop music, inventant au passage le « smooth jazz », ce qui lui valut une célébrité certaine. Cela nous faire aussi dire que cette session historique, ce fut la seule tournée européenne du guitariste, est l’une des dernières traces intéressante du guitariste dans l’espace jazz. L’octet est épatant. Chaque musicien prend sa place et une saine émulation règne de bout en bout. Ca swingue terriblement avec en sus cet enjouement typique que l’on ne trouve plus guère de nos jours (c’était pas mieux avant, sauf ça). Griffin est au top, Solal toujours incisif et les autres sont au diapason. Le Wes se promène avec eux en maître débonnaire. Le fun est là et c’est du lourd. Quand vous pensez que ces sessions étaient organisées dans le but premier d’être télévisées, vous vous dites qu’un truc a dû arriver que personne n’a pas vu venir. Pour la petite histoire, Ronnie Ross a donné à Bowie ses premiers cours de saxophone et, quelques années après, ce dernier l’a invité pour jouer le solo de « Walk on the wild side » sur l’album Transformer de Lou Reed. Question subsidiaire : pourquoi les trois anglais sur ce Cd se prénomment-ils Ronnie ?

https://en.wikipedia.org/wiki/Wes_Montgomery


LAW YEARS : THE MUSIC OF ORNETTE COLEMAN . Live at the birds eye jazz club

Miel Music

Miguel Zenon : saxophone alto
Ariel Bringuez : saxophone ténor
Demian Cabaud : contrebasse
Jordi Rossy : batterie

Le saxophoniste d’origine portoricaine Miguel Zenon a découvert la musique d’Ornette Coleman dans sa jeunesse et ce fut un choc. Aujourd’hui, accompagné par saxophoniste cubain, un contrebassiste argentin et un batteur catalan, il honore à titre posthume l’un de ses maîtres souffleurs à l’occasion de ce qui aurait pu être son 91ème anniversaire. Enregistré le 20 mai 2019 dans un club de Bale, il propose une relecture fameuse des compostions colemanienne, toujours entre free jazz et mélodies incomparables. Cette musique particulièrement flexible appuyée sur des rythmiques fluides est exigeante. Pour un musicien comme Miguel Zenon, c’est visiblement une délectation de plonger dans cet univers qu’il aime et qu’il maîtrise. Les entrelacements de saxophones entre lui et Ariel Bringuez renouvellent joliment l’approche des thèmes choisis et une chose est certaine, il ne démérite pas, loin s’en faut. C’est même une franche réussite et les morceaux, qu’ils soient vifs ou plus mélancoliques, sont tous impeccablement joués par un quartet très équilibré, non dénué d’idées et enclin à prendre sa part de liberté pour mieux célébrer le maître. Une réussite incontestable.

https://miguelzenon.com/


THE SCOTT SHERWOOD TRIO . Headin’ home

Art of life records

Scott Sherwood : guitare
Mike Nunno : basse
Paul Hannah : batterie

Scott Sherwood n’a enregistré que quatre disques avant de disparaître précocement d’un lymphome en 2009. Autodidacte, puis élève et ami de John Abercrombie, nourri par Jim Hall, le guitariste du Wisconsin possédait un jeu extrêmement fluide et une expressivité notable, doublée d’une belle sensibilité. Reconnu par ses pairs, il aurait pu faire une très belle carrière. Avec son trio, où la basse électrique remplace l’habituelle contrebasse (le premier à avoir osé ce changement, c’est à notre connaissance, Joe Pass dans son « Live at Donte’s enregistré en 1974 et sorti en 1981), les compositions jouées sont riches, ouvragées et laissent éclater au détour des soli quelques beaux moments d’empathique harmonie entre les musiciens. Toujours mélodique, et parfaitement secondé par une rythmique attentive et inventive, Scott Sherwood n’en n’était pas moins contemporain dans son approche stylistique. Ce concert enregistré en public à l’université de Rhode Island en 1996 en témoigne brillamment.

https://scottsherwood.com/


PIERRICK PEDRON . Fifty-fifty – New York sessions

L’autre distribution. Gazebo

Pierrick Pédron : saxophone alto
Sullivan Fortner : piano
Larry Grenadier : contrebasse
Marcus Gilmore : batterie

Comme line-up pour un saxophoniste alto en balade à New-York, franchement, on a vu pire… Deux jeunots qui poussent à la vitesse grand V, Marcus Gilmore et Sullivan Fortner, et un classieux incontournable, Larry Grenadier himself. Et devant ce beau monde, Pierrick Pédron, musicien curieux et polyvalent qui fête avec ce retour aux sources parkérienne ses cinquante balais. Comme il est habitué à côtoyer les pointures, cela visiblement ne lui a pas fait peur. A l’écoute, on le confirme volontiers. C’est un disque de jazz avec des américains qui ne font pas la pige. Cela rue dans les brancards du bop avec voracité ou cela coule en douceur dans les ballades avec la finesse nécessaire, mais en toute occasion, cela joue. L’élégance de l’alto, d’un bout à l’autre de l’enregistrement, démontre une maturité toute de fraîcheur et d’envie communicative. Redoutablement technique et léchée, la musique proposée ici n’en est pas moins festive et significative. Elle est dense et souple. Avec les musiciens qui l’accompagnent, Pierrick Pédron est dans cet album naturellement un leader ouvert qui fait autorité. Et nous, l’on a beaucoup aimé les ballades.

http://www.pierrickpedron.com/


 

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