Jazz In Lyon

La Revue De Disques – Juin 2019

TORI FREESTONE TRIO . El mar de nubes

Whirlwind Recordings

Tori Freestone : saxophone ténor
Dave Manington  : contrebasse
Tim Giles : batterie

Avec Tori Freestone, le saxophone ténor parait simple et cool. Mais après cette première impression, l’on s’apperçoit rapidement qu’elle est est en prise avec une sorte de feu interne, très organique, qui la guide dans son travail artistique avec une une force qui sort de l’ordinaire. Dans cet enregistrement où tout n’est que rythmes, modulations et harmonies, le discours de la saxophoniste ne se départit pas du lyrisme créatif qui la caractérise. Avec ce trio soudé, l’alchimie joue à plein. Dans un style privilégiant à mesure égale la mélodie et l’innovation, Tori Freestone développe un jeu personnel très contemporain, basé sur des influences multiples bien digérées, qui ne manque pas d’intriguer ni de séduire. L’équilibre conversationnel entre les trois membres du trio est parfait et dénote de l’esprit d’aventure qui les anime. Chaque composition offre des paysages musicaux variés mais tous unis par une cohérence qui place ce trio dans le peloton de tête des formations créatives d’aujourd’hui. Nous avions aimé le duo de Tori Freestone avec Alcyona Mick, nous aimons tout autant cette récente émanation musicale de son trio. Nous regrettons juste leur peu de présence sur notre territoire. Mais que font les programmateurs ?

Yves Dorison

http://www.torifreestone.com/

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ROND KALLEVÅG HANSEN . Bedehus & Hawaii

Hubro

Ivar Myrset Aashelm : percussions et batterie
Alexander Hoholm  : contrebasse
Geir Sundstøl : guitare, pedal steel guitar, marxophone, xylophone et optigan
Adrian Leseth Waade : violon
Trond Kallevåg Hansen : guitare, électronique et field recording

Pour son premier album chez Hubro, le guitariste norvégien Trond Kallevåg Hansen propose un mariage a priori contre nature entre une tradition musicale aussi locale que nordique et une autre issue du Pacifique sud. Étonnamment, neige et soleil se diluent en accouchant d’une musique hybride plutôt fascinante. Dans l’esthétique exploratoire de la maison de disque où se mêlent électronique et acoustique, ce jeune musicien et ses complices ont trouvé un port d’attache. Ils racontent avec des notes limpides de grands espaces aux lenteurs poétiques et des intérieurs à l’intimité chaleureuse. Les mélodies sont simples (on se promène librement entre jazz et americana) et touchent immédiatement l’auditeur par leurs nuances et leurs couleurs bien souvent mélancoliques, ce qui n’est pas triste, notons-le au passage. Comme dans l’album de Geir Sundstrøl, Brødløs, la magie opère et la musique syncrétique qui en sort est un exemple éblouissant de la complémentarité sonore qui existe entre les musiques du monde, aussi éloignées géographiquement qu’elles soient. Au final, la musique de Trond Kallevåg Hansen possède les contours intemporels d’une série d’autochromes, avec ce je ne sais quoi de diffus qui nous pénètre l’esprit durablement.

Yves Dorison

https://www.kallevaghansen.com/


LIONEL MARTIN & SANGOMA EVERETT . Revisiting Afrique of Count Basie & Oliver Nelson

Cristal Records / Ouch Records

Lionel Martin  : saxophone ténor, claviers
Sangoma Everett  : batterie

Pour s’attaquer à l’un des monuments discographiques d’un big band lui aussi monumental, quarante-huit après, combien faut-il être ? A priori, deux humains et un peu de technique moderne suffisent. Deux musiciens et deux chemins de vie musicale différents, c’est bien aussi, car la confrontation, quand elle vire à la symbiose, cela donne de beaux albums. C’est le cas dans cet enregistrement où le saxophone fiévreux de Lionel Martin s’entretient avec la batterie puissante de Sangoma Everett. Les deux réunis n’ont pas peur du swing, pas plus qu’ils ne s’effrayent d’un groove obsédant aux racines africaines. Ils marient le chant torride et le cri du désert dans un maelstrom rythmique aux couleurs crues. Sans répit, il colle à l’esprit original des Basie et Nelson. A l’époque, en 1971, leur disque avait fait sensation, autant par le renouvellement que s’imposait le génial Count en collaborant avec Oliver Nelson que par sa qualité musicale (la flûte d’Hubert Laws…) La version en duo de Lionel martin et Sangoma Everett en ce début de XXIème siècle, n’est pas une pâle copie. Elle n’est pas académique non plus. Elle laisse parler la passion et le désir de re-création qui propulsent les musiciens ne craignant pas de fréquenter l’hétérodoxie ; ce qui les rend indispensables, bien évidemment. En un mot : réjouissant.

Yves Dorison

https://www.cristalrecords.com/artiste/lionel-martin-sangoma-everett/


THE OGJB QUARTET . Bamako

Tum Records

Oliver Lake : saxophones alto et soprano, récitation (02)
Graham Haynes : cornet, dousn’gouni (02)
Joe Fonda : contrebasse
Barry Altschul : batterie, percussions, mbira (02)

Des noms de musiciens existent qui nous font vibrer avant même d’écouter leur dernier disque. Oliver Lake en fait incontestablement partie. Avec ce quartet où quatre leaders se côtoient au service d’un projet collaboratif, on accède à une musique vivante, pétrie d’histoire musicale et de sève créative. Cela chante et balance, cela groove et danse. Un tournoiement l’anime qui met en scène chacun des exécutants quand il le faut, comme il le faut. Le drumming puissant de Barry Altschul et la rugosité de Joe Fonda, la verve imaginative de Graham Haynes et la liberté de ton d’Oliver Lake constitue une sorte de carroussel musical à la synergie impressionnante. Qu’il s’attarde sur les racines africaines du jazz où se livre entièrement à la libre improvisation, le quartet parcoure les contours d’une transe, quelquefois spirituelle, souvent tellurique, qui utilise l’obsession rythmique tout autant que la déconstruction avec un art consommé de la dramaturgie. Donnant un sentiment de cosmogonie musicale élargie, la musique présentée dans ce disque fait sens, parait clairvoyante et diffuse pourtant des éclats contradictoires qui frôlent le chaos. Attention, le OGJB quartet n’est pas neutre et moins encore consensuel. Il est le fruit d’une rencontre au sommet entre des artistes qui ont toujours considérer l’intégrité comme la pierre angulaire de leur art exigeant. A ce niveau d’entente et d’expression musicales, on ne classe pas un disque comme celui-ci dans tel ou tel registre. La musique délivrée se suffit à elle-même et on la reçoit comme un don, une offrande.

Yves Dorison

https://oliverlake.net/

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JAN HARBECK QUARTET . The sound The rythm

Stunt Records

Jan Harbeck : saxophone tenor
Henrik Gunde : piano
Eske Nørrelykke : contrebasse
Anders Holm : batterie (1,2,4,5,6,7)
Morten Æro : batterie (3,5,7,8,9)
Jan Zum Vohrde : saxophone alto (8)

Dans chaque revue de disques, il y a un disque de jazz comme on en fait plus. Et ben mes aïeux ! Avec celui-là, dès l’entame, voilà pas qu’on est plongé dans l’atmosphère enfumée d’un club des années cinquante. Au bar, une femme en robe et talons fume avec élégance en matant d’un air faussement indifférent le saxophone rugueusement charnel qui tient la scène et fait mine de ne pas la voir. D’ailleurs, au bout du troisième set, il repartira l’aiguille entre les dents se finir dans un hôtel minable où il croisera l’ombre de Chet et, of course, celle de Ben Webster puisque ce disque est un hommage à sa majesté. Dans un coin, qui sait si Mike Hammer ne rêvasse pas sur la banquette en lorgnant le verre de bourbon de sa conquête où le rouge à lèvres à poser une empreinte évocatrice. Est-ce électrique ou vaguement ennuyeux ? Allez savoir, on voit ça en noir et blanc depuis un lointain inaccessible. Dehors, il doit pleuvoir et une sirène résonne. La vie suit son cours. Sur scène le quartet laisse filer toute la langueur de son swing dans une chaleur un peu trop moite pour être honnête. Du groove, il y a en a, du pulpeux aux arrondis prometteurs, comme au bar où le halo des lampes laisse entrevoir le profil de celle qui allume une autre cigarette en ignorant l’ivrogne de service qui tend une allumette. Elle n’a pas fini son verre et le temps s’étire autant que le tempo. A quoi bon, la musique est bonne et l’ombre d’un désir, déçu ou non, fait sourire intérieurement celles et ceux qui sont venus écouter du bon jazz mainstream dans un lieu pas très net mais cosy tout de même. Assez pour être heureux le temps d’une soirée choisie. Et puis demain c’est dimanche, on peut trainer sans remords. A part bien sûr le détective cité plus haut qui ne connait pas les weekends et aura forcément un vieux mal de crâne de derrière les fagots. Mon bon, il écoutera ce jazz d’un excellent millésime mais pas forcément d’aujoud’hui. Et pas forcément d’hier.

Yves Dorison

http://www.janharbeck.com/

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