Jazz In Lyon

La Revue De Disques – Juillet 2020

Quelques beaux disques à découvrir au cœur de cet étrange été, notamment le fantastique solo de Jorge Roeder.

JORGE ROEDER . El Suelo Mio

Autoproduction

Jorge Roeder : contrebasse

Le mois dernier, nous avions un solo de batterie. Ce mois-ci, place à la contrebasse avec l’épatant péruvien new-yorkais Jorge Roeder. Incontournable de nos jours, ce musicien n’autorise que les plus pointus des musiciens à figurer dans son curriculum vite fait. Julian, lage, Shai Maestro, Ryan Keberle, aujourd’hui. Gary Burton, Alex Acuna, Antonio Sanchez ou Kenny Werner, entre autres, par le passé. Et on ne vous dit pas tout. Avec un son boisé parfait, Jorge Roeder démontre dans ce disque son aptitude que la tonalité et le timbre sont aussi importants que la dextérité ou le choix des notes. Qu’il interprète des thèmes issus de sa culture sud-américaine ou qu’il aborde des standards, tout est joué avec une fluidité, un sens du rythme suraigu et une justesse impressionnantes. Sa virtuosité ne sert que la musique et l’on ne s’en plaint aucunement. Tout au long de l’écoute, l’on perçoit avec un réel plaisir le lyrisme chaleureusement discret de l’artiste et sa capacité à traduire en un langage unique, le sien, l’ensemble des influences qui l’on nourrit depuis ses débuts. Dans ce disque aux couleurs chamarrées, Jorge Roeder tutoie les sommets avec adresse et élégance, opulence naturelle et prestesse, jusqu’à rendre le résultat enregistré indispensable à toutes les discothèques. Ceci dit, il risque aussi de dégoûter un grand nombre de terriens contrebassistes…

 

https://www.jorgeroeder.com


JESPER THILO QUARTET . Swing is the things

Stunt Records

Jesper Thilo : saxophone tenor
Soren Kristiansen : piano
Daniel Franck : contrebasse
Frands Rifbjerg : batterie
Rebecca Thilo Farholt : chant (8)

Sur ce coup-là, nous avons un mois de retard. Désolé, mais on s’en fout. Après quoi la question. Qui est donc Jesper Thilo ? Il faut être danois pour le savoir ! Il n’était pas venu jusqu’à nos oreilles avant ce disque dont nous ne connaissons aucun des musiciens. Sachant qu’il est né en 1942, c’est à vous désespérer de vouloir en savoir toujours plus. Quant à son disque, le titre en dit tout. « Swing is the thing ». Nous voilà de nouveau plongés dans une époque révolue. Coleman Hawkins et Ben Webster ne sont pas loin. Pour un saxophoniste qui s’est frotté à des artistes tels Tommy Flanagan, Thad Jones ou Roland Hanna, tout au long de sa carrière, cela fait sens. Vous n’aurez donc aucune surprise à l’écoute de ce Cd. C’est du jazz d’avant, avec un grand J. Chacun y tient son rôle. Un soliste devant, un solo par ci pour le pianiste, un solo par là pour le contrebassiste, quelques quatre quatre pour faire briller les fûts, un thème des impros. A fond les ballons ou mid tempo, une ballade pour peaufiner l’affaire, et le set est complet. Le leader dirige et le trio accompagne. De quoi satisfaire les amoureux du swing car, disons-le clairement, c’est sacrément bien fait. En sus, l’enregistrement est remarquable de clarté et de précision. Vous pouvez écouter ce disque en toute occasion, pas seulement à l’apéro pour emballer la voisine avec deux bougies et trois olives. Ou alors vous ne connaissez vraiment rien à la musique. Pour le reste…

 

https://en.wikipedia.org/wiki/Jesper_Thilo


CARSTEN MEINERT . Musictrain

Stunt Records

Carsten Meinert : saxophone ténor, varitone
Jens Jorn Gjedsted : trompette
Erling Kroner : trombone
Michael Hove : saxophone alto
Ole Matthiessen : piano, arrangements
Thor Backhausen : orgue
pierre Dorge : guitare
Lee Schipper : vibraphone
Henrik Hove : contrebasse
Ole Streenberg, Conny Sjökvist, Bent Clausen, Jon Frisen : batterie, percussions
Niels Olaf Gudme : percussions
Clovis Gauguin : Percussions, voix, guitare

Si toutes les rééditions ne sont pas nécessaires, celle-ci l’est bien, du moins de notre point de vue. Connu pour avoir traduit à la sauce danoise les innovations modales de Coltrane (To you, 1968), il réunit dans ce disque qui était introuvable une quinzaine de joyeux lurons prend à s’emballer avec lui pour chercher encore un peu plus loin ce que la musique peut nous donner. Le free jazz est là en majesté. Il est mêlé à la pop psychédélique de seventies, au funk débridé, sans omettre un brin de spiritualité déjantée à la Pharoah Sanders. L’ensemble de l’enregistrement, avec les prises supplémentaires exhumées pour la circonstance, démontre que l’énergie vitale du groupe au service d’une curiosité tout azimut peuvent donner de grands albums enthousiasmants. Hélas, à cette époque, la musique ne circulait pas aussi facilement qu’aujourd’hui. Tout le mérite revient à Stunt Records qui permet une nouvelle écoute de ce projet franchement jouissif et, pour beaucoup, de faire une découverte musicale indispensable. On entend là, tout ce qui fit cette époque : de l’audace, une forme d’innocence perdue depuis, une intensité chaotique et une dose de liberté quasiment incongrue aujourd’hui. Le disque a été enregistré en août 1969…

 

https://www.discogs.com/artist/934470-Carsten-Meinert


CALLUM AU & CLAIRE MARTIN . Songs and stories

Stunt Records

Claire Martin : chant
Callum Au : Arrangements
Mark Nightingale : direction
et un orchestra de 82 musiciens…

Il y a encore des musiciens qui osent tout. Réunir 82 musiciens pour faire un disque ? Il faut être anglais… D’ailleurs Claire Martin et Callum Au le sont. Les autres viennent aussi bien d’Europe, du Royaume Uni que des États Unis. Et tout ça pour faire un disque de standards. Pour faire une tournée, ça va être coton… Enfin quoi, nous cela nous a fait souvenir que Nelson Riddle a existé (même s’il est un peu plus qu’oublié, le bougre) et que ce genre d’album aux arrangements ultra léchés se doit d’avoir un arrangeur balaise et une chanteuse qui sache surnager à cet ensemble musical pléthorique. Et vous savez quoi ? C’est bien le cas dans ce Cd qui surprend par son homogénéité, son swing imparable et ses solistes plus qu’affûtés. Claire Martin, avec ce grain inimitable acquis au cours de sa déjà longue carrière, fait merveille et promène sa classe avec une aisance déconcertante. Cela fleure bon la super production telle qu’on l’envisageait dans les studios de Capitol Records à la grande époque quand Ella venait secouer les membranes de microphone. Certains seront allergiques à ce disque et d’autres tomberont en pâmoison. Nous, il nous a fait sourire d’aise. Après tout, quel mal y a-t-il à se faire du bien en écoutant glisser les mots habités de Claire Martin sur un tapis de cordes moelleuses à souhait ?

 

https://clairemartinjazz.co.uk
https://callumaumusic.com


THE JEFF HAMILTON TRIO . Catch me if you can

Capri Records

Jeff Hamilton : batterie
Tamir Hendelman : piano
Jon Hamar : contrebasse

Allez ! Faisons simple. Jeff Hamilton a 66 balais et promène ses baguettes sur les fûts depuis belle lurette. Il n’a plus rien à prouver à personne, sinon lui-même, et peut donc de lâcher tranquillement sur une playlist au sein de laquelle l’on note quelques standards qui font plaisir et des compositions du pianiste et du contrebassiste qui ne déméritent pas. L’esthétique de l’ensemble demeure dans la stricte orthodoxie d’un swing franc du collier laissant au lyrisme toute la place qui lui convient. L’interplay fonctionne parfaitement et la maîtrise instrumentale est éloquente. Cela ne manque pas de style, comme on dit, et le jeu du batteur est plein d’une sérénité que seules confèrent des années d’accompagnement auprès des plus grands du jazz d’hier. Et si Jon hamar et Tamir Hendelman sont plus jeunes qu’Hamilton, ce ne sont pas non plus des lapins de trois semaines. Cela s’entend dès l’intro du premier morceau. Ces trois-là se connaissent bien et cela fait une belle différence. L’ensemble du disque est plein d’une sève boisée qui maintient vivante une tradition du trio jazz classieux que l’on apprécie quand elle est bien faite. Là, elle est très bien faite et dans le genre « personne n’en fait trop », c’est un petit bijou d’élégance loin d’être suranné.

 

https://hamiltonjazz.com


THE MARK MASTERS ENSEMBLE . Night Talk

Capri Records

Gary Smulyan : saxophone baryton
Bob Summer : trompette
Don Shelton : saxophone alto, flûte alto
Jerry Pinter : saxophones ténor et soprano
Dave Woodley : trombone
Ed Csach : piano
Putter Smith : bass
Kendall Kay : batterie

L’arrangeur Mark masters met en valeur dans cet album les compositions d’Alec Wilder (1907-1980), des thèmes dont certains ont traversé le siècle dernier sans perdre une once de ce qui fit leur succès. La mélodie d’abord ! Après, les jazzmen s’en emparent et les tricotent et détricotent comme bon leurs semblent. Ici c’est un octet où brille tout particulièrement le jeu fluide du saxophoniste baryton Gary Smulyan qui joue les arrangements aux petits oignons de Mark Masters. Ce dernier a déjà derrière lui une quinzaine de projets qui ont tous rencontré le respect de ses pairs, tout comme les musiciens qui compose ce groupe. Et pourtant on ne les connait que bien peu. C’est dommage pour eux et pour nombres d’auditeurs potentiels qui apprécient d’écouter de belles mécaniques, tournant comme des horloges, qui font place à une esthétique du détail clairement définie. Il faut noter au passage que dans ce disque le travail de Mark masters (un peu trop sous estimé à notre goût) va au-delà de l’arrangement et qu’il confine à la réécriture dans ce qu’elle a de plus noble, à savoir un respect fondamental du matériau premier.

 

https://caprirecords.com/html_index.cfm?page=items&action=viewgenre&genreoid=523


 

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