Jazz In Lyon

La Revue De Disques – Décembre 2020

Toujours pas de concerts, pas de théâtre, pas de danse, pas de cinéma ! Rien… Alors avec le retour des livres, il nous reste les disques. Voici une sélection de Noël qui pioche dans tous les coins, et pas seulement dans les nouveautés.


COLLECTIF LA BOUTIQUE . Twins

La Boutique

Yves Rousseau : contrebasse
Vincent Arnoult : hautbois
David Pouradier Duteil : batterie
Nicolas Fargeix : clarinette
Anaïs Reyes : basson
Fabrice Martinez : trompette
Emmanuelle Brunat : clarinette basse
Clément Duthoit : saxophone
Jean Rémy Guédon : composition

Invité : Vincent Peirani : accordéon

Le Collectif La Boutique est un octet comme on en voit peu, sinon jamais. Une rythmique bien groovy, deux solistes venus du jazz et un quatuor issu du monde classique. Sur ce disque, ils ont un invité, l’accordéoniste tout terrain Vincent Peirani. Et le chroniqueur de se demander comment l’ensemble va sonner… De fait, nous sommes restés, comme on dit prosaïquement, sur le cul. Une homogénéité surprenante se dégage de cet assemblage de sonorités hors norme. Ce n’est bien évidemment pas le seul mérite de cet album. Les compositions de Jean Rémy Guédon sont passionnantes et leurs mélodies peuplées d’images et d’imaginaire offrent à l’auditeur des panoramas assez rarement arpentés par nos oreilles en recherche perpétuelle d’étonnement. Entre humeur mélancolique ou nostalgique et tensions rythmiques plus expressionnistes, chaque titre apporte de nouvelles couleurs à un univers fait de volutes sinueuses et de brisures sur lesquelles les solistes peuvent lancer avec gourmandise des improvisations puissantes et toujours finement ouvragées avec, quelquefois, des aspects aussi ludiques que facétieux. Au final, et si l’on peut dire, ce Collectif La Boutique, dont le propos est parfaitement réjouissant, virtuose à bon escient et plutôt inhabituel, vend du bonheur musical en tranche, directement du producteur au consommateur. Une incontestable réussite qui mérite votre attention.

https://www.archimusic.com/twins-creation-2019-2020/


MARC COPLAND . John

Illusions Mirage

Marc Copland : piano

La dernière fois que l’on a vu John Abercrombie en concert, c’était au printemps 2014 et il jouait en duo avec Marc Copland qui, aujourd’hui, rend hommage à sa musique avec cet album solo de très, très, haute volée. En magicien du clavier et en ami fidèle du guitariste, décédé le 22 août 2017, Marc Copland nous immerge dans un univers musical inspiré où la respiration compte autant que les notes. Il déroule les paysages abercrombien avec une clairvoyance toute de délicatesse avisée et on le sent encore à l’écoute de son ami disparu. Si l’ambiance générale donne un sentiment de recueillement, aucune tristesse ne la marque. Marc Copland célèbre les compositions du guitariste avec sa sensibilité primale, compositions qui d’ailleurs sont souvent méconnues mais force le respect. En leur offrant cet écrin taillé dans l’intime et le chaleureux, le pianiste dont on dit qu’il murmure à l’oreille des pianos réalise un album qui transcende les genres, un disque éloigné de la pure cérébralité, un disque immergé dans une amitié musicale et humaine qui défie le temps. Point n’est besoin de gloser sur la technique de l’artiste, dans ce Cd, tout est musique, rien que musique.

http://www.marccopland.com/


A LOVE SUPREME ELECTRIC . A love supreme and meditations

Cuneiform Records

Vinny Golia : Saxophones ténor, alto, baryton
John Hanrahan : batterie
Henry Kaiser : guitare
Wayne Peet : orgue Hammond B3 & Yamaha YC-45D
Mike Watt : basse
Rakalam Bob Moses : percussions (6)

  • Certains vont crier à l’outrage majeur ! Réunir A love supreme et Meditations de Coltrane et les brancher sur 220, ça peut faire grincer… Mais bon, dans le line-up de ce projet collaboratif, il y a Henry Kaiser. On ne peut donc pas dire qu’on n’était pas prévenu. De facto, c’est puissant, furieusement électrique, diablement libre et sacrément bien fait. La question que se sont posé les quatre musiciens est la suivante : et si ? Et si Coltrane avait vécu plus longtemps et qu’il ait retrouvé, au hasard, Miles au début des années soixante-dix, période bruyante (Agharta, Pangaea) ? Et s’ils avaient de concert joué A love supreme et les Meditations ? Qu’aurait-on écouté ? Or donc, en 2020, l’excellent quartet qui figure dans cet enregistrement l’imagine et le joue. A leur sauce. Elle est épaisse, plutôt relevée et ne s’embarrasse pas de préjugés. Elle piquera quelques oreilles, en brûlera d’autres, mais comblera la grande majorité des auditeurs ouverts à l’expérimental dans ce qu’il peut avoir de plus radical ; la radicalité étant ici un lien évident entre Coltrane et ses déchaînés successeurs. Entre paroxysme et incantation, libre exploration quasi chamanique et singulière expressivité, Henry Kaiser, Vinny Golia, Wayne Peet et Mike Watt renouvellent les deux albums mythiques du ténor de Hamlet (Caroline du Nord) sans les plagier bêtement et réalisent une sorte de tour de force musical, aux reflets psychédéliques, assez fascinant, il faut bien le dire. Un disque à écouter à pleine puissance bien évidemment.

https://cuneiformrecords.bandcamp.com/album/a-love-supreme-electric-a-love-supreme-and-meditations

MARE NOSTRUM III

Act

Paolo Fresu : trompette
Richard Galliano : accordéon
Jan lundgren : piano

Un peu de 10 ans après leur premier disque, on retrouve avec plaisir ce trio défiant les frontières européennes. Toujours ancré la contemplation très évocatrice et la douceur des timbres. Toujours accrochée envers et contre tout aux délices du mélodique et de son inhérente poésie, les trois complices continuent à creuser un sillon dont les qualités ne sont plus à louer. Ils ont en outre le bon goût de mettre une once de rythme supplémentaire ici et là, ce qui ne gâche rien. L’équilibre symbiotique entre eux est toujours aussi parfait et c’est un bonheur de les écouter. a tel point que l’on a rien à ajouter si ce n’est qu’il est indispensable d’avoir ce disque près de la platine.

http://www.paolofresu.it/
https://www.janlundgren.com/
http://www.richardgalliano.com/


NILS LANDGREN . Christmas with my friends VII

Act Music

Nils Landgren : trombone et chant
Sharon Dyall : chant
Jons Khutsson : saxophones
Jeanette Köhn : chant
Eve Kruse : basse
Jessica Pilnas : chant
Ida Sand : chant, piano
Johan Norberg : guitare, mandoline

Nils Landgren savait-il en 2005 lorsqu’il enregistra le premier Christmas with my friends que l’aventure durerait encore 15 ans après ? Pas sûr. Toujours est-il que le septième du genre possède toutes les qualités des six précédents. Par ici, il sera probablement peu pris en compte par la critique, ce qui n’est pas le cas ailleurs dans le monde. Toujours est-il que, comme à leur habitude, Nils Landgren et les musiciens qui l’accompagnent font un travail quasi ethnographique en allant chercher des perles rares anciennes qu’ils mêlent à quelques morceaux plus modernes et groovy. L’ensemble est tiré au cordeau par des musiciens haut de gamme ne mégotant sur aucune finesse, pourvu que l’ensemble sonne. Et cela sonne chaleureusement. Avec quatre chanteuses et autant de tessitures, une orchestration pleine de sobriété, la variété des approches sur chaque titre est du plus bel effet. Bien sûr ce ne sont que des chants de Noël. Mais attention, ils sont protégés par la laïcité. Et puis c’est aussi de la musique, très bien jouée, qui vous évitera les remix de Tino ou l’insupportable Mariah Carey. Alors si vous avez des marmots ou des petits-enfants, vous aurez une bonne excuse pour acheter ce disque, leur offrir comme une alternative aux p’tits loups du jazz, former leurs jeunes oreilles et vous faire plaisir. Et si vous êtes seuls au monde, personne ne vous en voudra.

http://www.nilslandgren.com/


Bruno CANINO – Enrico PIERANUNZI : « Americas »

CamJazz

Bruno Canino, Enrico pieranunzi : piano

  • Autre facette du mélange des genres, Americas, en duo avec le pianiste classique féru de musique contemporaine Bruno Canino, s’attaque aux Amériques, nord et sud confondues. Sur un registre plus contemporain, le duo crée une sorte de genre augmenté et on ne saurait trop dire par quel biais ils arrivent à leurs fins. Une chose est sûre cependant, les frontières en prennent pour leur grade. Et comme dans le ménage à trois ci-dessous commenté, c’est bien la liberté d’expression musicale qui s’affiche en souveraine incontestable. Le pianiste romain et son acolyte napolitain démontrent à l’envi dans cet enregistrement qu’il est bon d’ériger l’anticonformisme en principe actif de la pensée, qu’elle soit musicale ou non, peu importe. Copland et Piazzola, Guastavino et Gershwin, entre autres, sont de la partie et, sous les quatre mains inflexibles des pianistes, dévoilent des sonorités nouvelles dont la densité ne peut qu’émouvoir. Savoir qui joue quoi et quand n’a aucune importance. La musique s’impose avant toute autre considération car, comme le dit joliment Bruno Canino, l’interprète ne doit qu’un honnête courtier entre ceux qui ont écrit la musique et ceux qui l’écoutent. Ébouriffant.

P.S. Vous pouvez également écouter le beau disque de la pianiste classique Lara Downes intitulé « America again » qui offre une approche différente de nombres de thèmes traditionnels ou en passe de le devenir. C’est sur NPR : www.npr.org/lara-downes-america-again et c’est fort beau.

SUN RA ARKESTRA . Swirling

Strut Records

Marshall Allen : saxophone alto, EVI (Electronic Valve Instrument)
Knoel Scott : saxophone alto
James Stewart : saxophone ténor, flûte
Danny Ray Thompson : saxophone baryton, flûte
Michael Ray, Cecil Brooks  : trompette
Vincent Chancey : cor d’harmonie
Dave Davis : trombone, voix
Farid Barron : piano
Dave Hotep : guitare
Tyler Mitchell : basse
Wayne Anthony Smith Jr. : batterie
Elson Nascimento : surdo, percussions
Stanley « Atakatune » Morgan : congas
Tara Middleton : voix, violon

Bien que Sun Ra ait rejoint depuis longtemps les confins cosmogoniques qu’il affectionnait de mettre en musique, son extension surnaturelle, le Sun Ra Arkestra, demeure terrestre. La preuve, après vingt années d’absence, il réapparait musicalement sous la férule du premier disciple, Marshall Allen (96 ans) avec un album assez réussi et toujours créatif. Afin de réactiver l’afro futurisme du concepteur, les membres de l’Arkestra sont allé chercher dans leur ancienne et conséquente discographie quelques pièces emblématiques et d’autres nettement moins connues. Marshall Allen, lui, a écrit le morceau qui donne son titre à l’album, « Swirling ». Entre imprécations, intimistes ou puissantes, et dérives voyageuses aux limites du consolable, le groupe régénère la philosophie musicale d’une spiritualité cosmique qui a marqué de son empreinte, rappelons-le, une ou deux générations d’allumés du jazz ayant coulé leur inspiration dans les pas du grand leader interstellaire. Alors entre le foutraque et l’élégiaque, le mélodique et le dissonant, l’étrange trip se déroule avec un sens de la dramaturgie qui n’a pas pris une ride. C’est dans l’ensemble joyeusement festif et, dans le contexte actuel, le boogie « Unmask the Batman » rajoute une once de rigolade à la fantaisie vagabonde et intergalactique du groupe.

https://sunrastrut.bandcamp.com/album/swirling


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