Jazz In Lyon

La Revue De Disques – Avril 2022

ANGELO VERPLOEGEN . When night falls

Just Listen records

Angelo Verploegen : bugle
Ed Verhoeff : guitare
Eric Van Der Westen : contrebasse

Bugle / guitare / contrebasse, ce n’est pas si souvent. Enregistré avec brio sur le label hollandais « Just listen Records », le disque d’Angelo Verploegen et de ses deux acolytes est une oasis dans un monde de brutes. Il ne révolutionnera pas le monde du jazz, certes, mais il est l’expression d’un jazz mainstream chambriste qui magnifie avec un savoir-faire notable les standards que l’on apprécie depuis toujours. L’on est agréablement surpris de les retrouver traités avec soins par une formation qui nous fait obligatoirement penser à Chet Baker. Ce n’est bien sûr pas du Chet, c’est autre chose. Quelque chose de paisible, de parfaitement mené de bout en bout par des musiciens en osmose qui se connaissent depuis longtemps. Évoquant le monde de la nuit dans ce qu’elle a de plus doux, le trio, grâce à un choix de titres finement élaboré, donne à écouter une musique relaxante et réconfortante entièrement tournée vers la musicalité. Nous ne connaissions pas ces musiciens hollandais bien qu’ils ne soient pas nés d’hier et nous sommes contents de les découvrir et de vous en parler. A croire que les frontières intra-européennes sont hermétiques…

https://www.facebook.com/people/Angelo-Verploegen/1595649608/


ORD . Hemligheter på vägen

Hatvorn Records

Karin Johansson : piano, piano préparé, compositions
Jenny Willen : voix
Niclas Rydh : trombone
Gunnel Samuelsson : clarinette basse, saxophone ténor
Hasse Westling : contrebasse

Toujours aussi personnelle dans son approche musicale, Karin Johansson livre ici un disque envoûtant. Illuminé par la voix de Jenny Willen, la musique des confins que fréquente la pianiste se pare d’une chaleur douce qui la révèle mieux encore. Les mélodies aisées d’accès a priori sont vite récupérées par la musique exploratoire qui constitue le ferment de cet enregistrement. Travaillée dans le détail, l’écho et le silence, les méandres musicaux qui tissent la toile finale de chaque paysage sonore puisent dans une contemporanéité quelquefois rugueuse et toujours proche d’une poésie de l’abstraction étonnamment charnelle. Et puisque l’on parle de poésie, sachez qu’outre les textes originaux de la pianiste les mots du prix Nobel Tomas Tranströmer sont convoqués ; et le lien entre la musique de Karin Johansson et le verbe du poète nous semble évident car les deux savent, chacun à leur façon, produire des images à la fois denses et limpides qui dépeignent une réalité dont l’accès peut paraître caché. Certes, nous ne comprenons rien à la langue suédoise, absolument rien, mais la voix de la chanteuse et les intonations, les chuintements et les frottements, de la langue précitée suffisent amplement au déclenchement d’une rêverie magistralement soutenue par l’ensemble des musiciens. On adore !

https://soundcloud.com/karinjohansson


IIRO RANTALA . Potsdam

Act Music

Iiro Rantala : piano

La ville de Potsdam figure en bonne place dans l’histoire allemande. Du château de Sans-souci aux dérives nazies, elle fut également la frontière ouest du mur, Potsdam a vu passer bien des vicissitudes. Elle est aujourd’hui une ville agréable et le titre du dernier solo en public d’Iiro Rantala. Lieu de l’enregistrement, entre les cordes du pianiste finlandais, elle est lyrique et joyeuse, mélancolique et douce. Toujours, elle est mélodique, très mélodique, et l’on reconnait bien là la patte « Rantala », cette dualité dans son caractère qui fait tout son charme. Farceur ou émotif, expressif en toute circonstance, il promène sa virtuosité sans effort apparent. Tout paraît donc très simple à l’écoute et c’est peut-être l’une des raisons qui font que certains l’ignorent. Son style vif et alerte est un hommage vivant à Oscar Peterson, pas une pâle copie. Son intelligence musicale est telle, sa liberté d’approche si prégnante, que l’on ne peut qu’être conquis par son travail, magnétique à bien des égards, et si d’aucuns le pensent un peu trop versatile, c’est qu’ils leur manquent une oreille ou deux. Quoi qu’il en soit, Iiro Rantala est entier et ne retient pas sa nature profonde. C’est pour cela qu’on l’aime, beaucoup. Avec en sus dans ce disque une belle reprise lenonnienne de « Women » et deux gouttes de Bernstein, ça le fait, comme on dit.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Iiro_Rantala


CLAUDE TCHAMITCHIAN QUINTET . Ways out

Label Emouvance

Claude Tchamitchian : contrebasse & compositions
Daniel Erdmann : saxophones ténor et soprano
Régis Huby : violon, effets
Rémi Charmasson : guitare
Christophe Marguet : batterie

Après « Ways out » en quartet il y a une dizaine d’années, voici « Ways out » en quintet, le cinquième élément étant Daniel Erdmann (qu’on ne présente plus depuis belle lurette). Claude Tchamitchian aime les formes longues permettant de conter les histoires dans le détail et avec précision, d’autant plus qu’il faut de l’espace pour l’improvisation. Alors, sans renoncer à rien, il construit des mondes musicaux qui n’appartiennent qu’à lui. Et chacune de ses histoires est parée de multiples facettes, où se mêlent les genres, qui sont autant d’ouvertures sur l’imaginaire. Portées par des musiciens XXL, Ways out explore et interroge l’avenir du monde humain, la primauté de l’être bafouée par des sociétés bâties sur le bénéfice égoïste autant que brutal. Claude Tchamitchian et ses acolytes démontrent l’évidence : autrui existe, il respire, il inspire, est notre indispensable miroir. Et nous nous demandons bien comment nous pouvons l’oublier au quotidien. De quoi être en colère, ce qui s’entend ici et là dans les compositions sensuelles du contrebassiste. De quoi espérer aussi : et c’est à n’en pas douter le fil conducteur de ce disque animé par une ferveur non feinte mais qui ne se berce aucunement d’illusion. C’est également l’album d’un collectif à l’opposé du nombrilisme ambiant.

https://tchamitchian.fr/compagnie/ways-out/


VINCENT PEIRANI . Jokers

Act Music

Vincent Peirani : accordéon, accordina, clarinette, boite à musique, claviers, glockenspiel, voix

Federico Casagrande : guitare
Ziv Ravitz : batterie, clavier (9)

Si vous voulez savoir pourquoi l’accordéoniste niçois a fait ce disque qui ratisse étonnamment large, sachez qu’il n’écoute pas que du jazz. Et non je ne suis pas devin : j’ai lu la pochette et j’ai vu écrit Marilyn Mansion, Nine Inch Nails, entre autres. Ceci dit, nous savions déjà que l’exploration est une pierre angulaire pour lui et qu’à ce titre il n’a aucune raison de se priver. Alors quoi, c’est donc du rock ? Et bien non, c’est de la musique. Certes, pour les puristes (il en existe encore), elle navigue en eau trouble. Gorgé d’influences bien digérées, elle offre aux mélodies des espaces ludiques ainsi que des dérapages contrôlés pour agrémenter les rives (et dérives) du paysage qui n’est jamais un pays sage. Facile celle-là… Enfin passons. Pour la bonne cause, dans cet album, Vincent Peirani devient multi instrumentiste, histoire de brouiller un peu plus les pistes peut-être. Une chose demeure, la variété des timbres charge sa musique d’une densité autre et la renouvelle. Et bien que nous fûmes convaincus du talent de l’artiste avant ce disque, nous apprécions grandement cette nouvelle approche vitaminée qui nous fait souvenir que nous n’avons pas toujours écouté du jazz (et c’est toujours le cas d’ailleurs). A la guitare, le très imaginatif Federico Casagrande est égal à lui-même, c’est-à-dire très largement au-dessus du lot. Et comme il joue avec Ziv Ravitz depuis un bon bout de temps, ce dernier avance en terrain connu avec la maîtrise qu’on lui connait. Sur cette base, la greffe entre les trois ne fait aucun rejet. Par contre, nous aimerions bien qu’elle fasse quelques rejetons ! Allez, il m’a mis en forme ce trio, je vais réécouter Beck Bogart Appice avant d’aller voter. Et d’ailleurs, vous ne trouver pas que « Sweet sweet surrender » pompe un peu le « I shall be released » de mister Bob ?

https://vincent-peirani.com/


LYNNE ARRIALE . The lights are always on

Challenge Records

Lynne Arriale : piano
Jasper Somsen : contrebasse
E.J. Strickland : batterie

Lynne Arriale a derrière elle une très belle et longue carrière (devant aussi d’ailleurs). Mais ici, personne ne la connaît ou presque. L’avez-vous déjà vue dans un grand festival ? C’est dommage car c’est une artiste qui mérite bien plus qu’un petit détour. Avec le grand E.J. Strickland à la batterie et l’excellent Jasper Somsen à la contrebasse, elle continue, dans cet album, son chemin de jazz, un chemin tout d’élégance et de grâce. Nous nous demandons depuis longtemps si sa musique est une musique du cœur qui parle à l’esprit ou bien une musique cérébrale qui parle au cœur. Et nous n’arrivons toujours pas à nous décider. Il est probable que l’alchimie interne qui la caractérise relève de l’indicible. C’est un peu comme chez Bill Evans, voyez-vous. Quoi qu’il en soit, son univers est suffisamment riche pour qu’on l’écoute sans se poser de question. Certes, dans la forme comme dans le fond, cet univers personnel appartient au jazz classique contemporain, mais ce n’est pas un défaut que je sache. Sa musicalité, emplie d’un savoir délicatement mis en œuvre, mérite à elle seule une écoute approfondie. Mais comme elle n’est pas accompagnée par des seconds couteaux, il est nécessaire de porter une attention particulière à la musique de ce disque car elle détient les clefs d’une originalité pianistique qui nous parle habilement et harmonieusement, à mots couverts, avec une fausse simplicité et une sincérité véritable.

https://www.lynnearriale.com/

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