Jazz In Lyon

La Revue De Disques – Août -Septembre 2021

BARRY ALTSCHUL’S 3DOM FACTOR . Long Tall Sunshine

Not Two records

Barry Altschul : batterie, cymbales
Jon Irabagon : saxophones ténor et soprillo, clarinette alto
Joe Fonda : contrebasse

L’aventure, c’est l’aventure. Et personne ne fera croire à Barry Altschul qu’il pourrait en être autrement dès lors qu’il s’agit de musique. Dans cet enregistrement public de 2019, quelque part en Europe, l’aventure continue avec Jon Irabagon, infatigable créateur de son, e Joe Fonda acrobate musclé et rugueux des quatre cordes. Depuis cinquante ans que cela dure, l’on s’étonne encore que cela puisse fonctionner comme au premier jour, mais il faut bien dire que l’énergie contagieuse du batteur et son exubérance font toujours mouche. Cerné par deux musiciens sans peur et sans frontière, il livre le meilleur de lui-même à ses collègues qui ne demandent pas mieux. Entrez dans la danse, faites-nous voir ce que vous avez dans le ventre et allons-y gaiement, de concert bien sûr. D’un bout à l’autre du disque, l’extrême mobilité du batteur sur ses fûts et cymbales est un régal. Le dialogue entre les musiciens (qui officient ensemble depuis une bonne décade) est du même acabit. L’inventivité est là en toute circonstance et jamais le propos ne faiblit. Lyrique aussi, la musique de Barry Altschul est un concentré de ce que le jazz en liberté peut produire. Indispensable.

https://en.wikipedia.org/wiki/Barry_Altschul


ENRICO PIERANUNZI . Frame

CamJazz

Enrico Pieranunzi : piano & celesta

Voici qu’Enrico Pieranunzi consacre un disque à des peintres. Peu commun. En solo, dans un exercice qu’il affectionne, le pianiste romain livre une vision personnelle de ces peintres qu’il apprécie et qui, si l’on en croit les notes de pochette, l’on peut être au final inspiré et influencé. Nous ce que l’on retient, c’est que le maestro semble inépuisable dans sa quête musicale et que rien ne peut l’empêcher de jouer encore et encore, d’explorer toujours plus avant, Bref d’être vivant par la musique. Les suites et pièces sont dédiées à Pollock (notre préféré), Klimt, Hopper, Picasso, Klee, Matisse, Mondrian et Rothko ; une sorte de best of de la peinture du vingtième siècle. Avec ces toiles de fond, Enrico Pieranunzi peut laisser libre cours à sa fertile imagination et aller, de variation en variation, vers les lointains intérieurs qui l’animent et leur donner une présence musicale bien réelle, colorée. Ceci dit, ce Cd est paru en 2020 et c’est seulement maintenant que l’on nous en parle. Pandémie ? Peu importe puisque l’enregistrement, lui, date d’octobre 2012… Allons, la bonne musique n’a pas d’âge.

https://www.enricopieranunzi.it/


SAMO SALAMON & HASSE POULSEN . String dancers

Samo Records

Samo Salamon : guitares acoustiques 6 & 12 cordes
Hasse Poulsen : guitare acoustique 6 cordes

Comme au printemps 2020 le confinement ennuyait tout le monde, Samo Salamon eut l’idée de prendre contact, depuis sa Slovénie natale, avec le plus parisien des danois, Hasse Poulsen pour ceux qui ne savaient pas. Faire un truc ensemble, avec nos morceaux et quelques improvisations, manière de faire la nique au virus qui, de toutes les façons, n’infecte pas la musique. Aussitôt dit, aussitôt fait. Et le résultat est à la hauteur de nos attentes et des talents conjugués des deux guitaristes. Sous certains aspects, notamment mélodiques, leur travail nous a fait souvenir du duo de Larry Coryell et Philip Catherine, il y a un certain temps déjà (voire plus). Ce n’est pas, de notre part, un reproche, bien au contraire. Clarté, concision, des idées plus qu’il n’en faut, de quoi faire un bel album parfaitement original, totalement éloigné des contingences de l’industrie du disque. Une affaire de libre entente d’un point à l’autre de l’Europe entre deux musiciens qui ne se connaissaient pas et qui, pourtant, se connaissent mieux qu’ils ne le pensaient. On aimera les voir sur scène ensemble. Compris ?

https://samosalamon.bandcamp.com/album/string-dancers


THE COOKERS . Look out !

Gearbox Records

Billy Harper : saxophone ténor
Eddie Henderson : trompette
David Weiss : trompette
Donald Harrison : saxophone alto
George Cables : piano
Cecil McBee : contrebasse
Billy Hart : batterie

Les cuisiniers de ce super groupe sont pour la plupart des monstres du jazz apparu dans les années soixante et ce disque, leur sixième, ne manque pas de jus. Le poids des décennies ne semble pas peser sur leurs épaules et ils font montre d’une ardeur quasi juvénile à jouer leurs compositions post bop vitaminées. Avec pour socle, Billy Hart, Cecil McBee et Goerge Cables, les soufflants sont tranquilles. Ils peuvent à loisir lécher leurs chorus et leurs improvisations. L’écueil qui souvent handicape ce genre de « all Stars », l’égo, doublé de la fatigue qui peut également affaiblir la présence musicale, est dans ce disque largement évité. Tous sont au taquet et livrent le meilleur d’eux-mêmes. Ils maîtrisent tous les vocabulaires, savent être lyriques sans ostentation et virtuoses sans excès. Bref, c’est un disque sacrément relevé par une bande de chefs qui, soi-dit en passant, doivent bien se marrer aussi. Puissant, vibrant et rafraichissant.

https://thecookersmusic.bandcamp.com/album/look-out


ANDY EMLER MEGA OCTET . Just a beginning

Peewee !

Andy Emler : piano
Laurent Blondiau : trompette et bugle
Guillaume Orti, Philippe Sellam : sax alto
Laurent Dehors : saxophone, clarinette, cornemuse
François Thuillier : tuba
Claude Tchamitchian : contrebasse
Eric Echampard : batterie
François Verly : percussions

Invités :

Nguyen Lê : guitare
Thomas De Pourquery : sax alto et voix
Médéric Collignon : cornet et voix

On n’a pas tous les jours trente ans. Le MegaOctet d’Andy Emler, s’il célèbre son anniversaire avec un disque live enregistré au festival de Nevers, a depuis toujours sous la férule du compositeur, l’air d’en avoir 20 de moins. Dans sa forme actuelle, agrémentée pour l’occasion de la présence de trois « historiques » du groupe, ils ne lâchent rien de ce qui a fait, et fait toujours, son succès ; savamment bordélique, joyeusement virtuose, totalement collectif, le MégaOctet est un amalgame de sensations musicales et d’humanité comme on en voit peu dans le paysage jazz. Une énergie débordante entre musiciens en confiance, au service d’une création toujours renouvelée, c’est pour sûr l’une des clefs qui font que ce groupe renverse à chacune de ses sorties le conventionnel et l’emmerdant, l’amidonné et le bienséant. Musicalement incorrect en ces temps en niveaux de gris de consensus permanent, Andy Emler et ses acolytes nous font souvenir que le jazz est avant tout une musique festive faite par des expérimentateurs sans concessions, sans œillères et sans a priori. Avec tout ça en moins, il est épatant que cela fasse autant et signifie beaucoup !

https://www.andyemler.eu/andy-emler-megaoctet/


PAT METHENY . Side-eye NYC

BMG

Pat Metheny : guitare, guitare synthétiseur, base, etc
James Francies : piano, orgue et synthétiseurs
Marcus Gilmore : batterie

Pat Metheny fait partie de ces trublions dont on ne sait jamais ce qu’ils vont faire tant ils sont incapables de choisir, à moins qu’ils ne le veuillent pas consciemment. C’est donc toujours une surprise et, pour nous, elle peut être plus ou moins bonne ! Toujours est-il qu’avec ce disque en trio, enregistré en public, on retrouve ce qui a fait le succès du Pat Metheny Group dans les années quatre-vingt. Et ce n’est pourtant pas une resucée. Tout l’art de Metheny consiste à mettre « en scène » une musique écrite pour ses partenaires de jeu. Dans cet état d’esprit, il change évidemment son approche à chaque enregistrement sans jamais oublier d’être lui-même, d’apposer sa patte (immédiatement reconnaissable). Dans un souci louable de transmission, son projet actuel est d’inviter de jeunes musiciens, ce qui est bénéfique à tous. Les prochains disques verront d’autres jeunes pointures pointer le bout de leur nez et on verra bien ce qu’il en sort. Quant à cet album, il est franchement plaisant et nous saurions bien embêtés d’en dire du mal. C’est parfaitement huilé, Marcus Gilmore est bien en place et James Francies arrive à faire oublier l’ombre tutélaire de Lyle Mays. Pat Metheny, lui, fait preuve de générosité, ce qui est une habitude dont on ne se lasse pas.

https://www.patmetheny.com/


ERROLL GARNER . Symphony Hall Concert

Mack Avenue Records

Erroll Garner : piano
Eddie Calhoun : contrebasse
Kelly Martin : batterie

Le label Mack Avenue (accopagné par Octave Music) continue à célébrer le centenaire du pianiste Erroll Garner. Et même si l’on n’est pas des fanatiques de la commémoration, il faut bien reconnaître qu’il est bon de retrouver un pianiste qui, en son temps, tutoya les sommets et qui ensuite influença pas mal de d’autres pianistes. Dans ce concert qui le montre en très grand forme, toute son ingéniosité et son inventivité serve un propos comme toujours bourrée d’un groove et d’un swing bluesy imparable. Mais, au-delà de cet acquis, vous pourrez noter que, dans cet enregistrement, Erroll Garner déploie, de-ci delà, des phrasés plus aventureux qui dénote un savoir-faire et une sensibilité que beaucoup ont tendance à ignorer en le casant ipso facto dans la catégorie des pianistes swing lambda d’une époque révolue. Comme en sus le procédé de restauration de l’enregistrement original est remarquable, l’écoute est parfaite et fait honneur au natif de Pittsburgh. Pour votre information, ce disque sera suivi de deux autres sorties. Vous pourrez même y trouver des essais de Terri Lyne Carrington et Cécile McLorin-Salvant.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Erroll_Garner


THOMAS CLAUSEN TRIO . Back 2 basics

Stunt Records

Thoams Clausen : piano
Thomas Fonnesbaek : contrebasse
Karsten Bagge : batterie

Thomas Clausen est septuagénaire et il se moque de savoir dans quelle case on le range. De tous les combats stylistiques depuis presque un demi-siècle, il revient (le titre de l’album est clair) aux standards avec un trio déjà ancien, gage d’unicité, qui fait merveille. Enregistré dans les conditions du concert mais sans public, merci Covid, le pianiste danois et ses deux compères plongent dans le répertoire avec délice. Ceci écrit, Thomas Clausen est bien plus qu’un pianiste swing démodé. Sa maîtrise du clavier, son phrasé et son expression musicale le place dans une position de musicien très demandé qui ne se refuse rien. C’est particulièrement dense, jouissif et surprenant, pour que l’on ne s’ennuie pas. C’est brillant sans être ostentatoire et, c’est une grande vertu, intelligent. De son riche passé avec Dexter Gordon, Johnny griffin, Gary Burton et même Miles Davis, Thomas Clausen a su faire un atout propice à la construction de son originalité stylistique. Et dans cet album, elle est éclatante. Un bien beau trio dont il serait dommage de se passer.

http://www.thomasclausen.com/


SINNE EEG & THOMAS FONNESBAEK . Staying in touch

Stunt Records

Sinne Eeg : chant
Thomas Fonnesbaek : contrebasse

Andrea Gyarfas Brahe, Karen Johanne Pedersen : violon (3, 5 & 10)
Deanna Said : alto (3, 5 & 10)
Live Johansson : violoncello (3, 5 & 10)

Tout augmente, même les duos chant / contrebasse. Sinne Eeg et Thomas Fonnesbaek se connaissent depuis longtemps et ont beaucoup enregistré ensemble des disques que nous avons aimés. Leur long cheminement musical commun les a sûrement orienté vers le quatuor à cordes afin de se renouveler un peu et d’aborder sous un nouvel angle leur collaboration. Qu’il s’agisse de compositions originales ou de reprises de standards, qu’ils soient en duo ou non, cela ne change rien à l’affaire car la présence vocale de Sinne Eeg renvoie dans les catacombes du jazz d’autres chanteuses en vogue. Quant à l’excellence musicale du contrebassiste, toute de rythme mélodique et de finesse, elle agit de même et fait oublier quelques joueurs de quatre cordes. La connivence entre les deux artistes coïncide avec une sensibilité à fleur de peau et un goût remarquable. La fausse note et le tout venant, c’est pour les autres. Voluptueusement délicat et très réussi. Dommage que les programmateurs des festivals et des clubs français l’ignorent à ce point.

https://sinnemusic.com/
https://www.thomasfonnesbaek.dk/


 

 

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