Jazz In Lyon

La Revue De Disques – Mars 2019

Une première sélection de disque pour 2019 avec quatre nouveautés et une réédition ; de quoi séduire toutes les formes de curiosité auditive dévolues au jazz.

LARRY GRENADIER

The gleaners

ECM

Larry Grenadier  : contrebasse

Un solo de contrebasse un peu long, ça peut faire peur à beaucoup. Même à nous. Tout un disque d’un contrebassiste en solo, quel effet cela peut-il bien faire à l’auditeur ? Cela peut par exemple profondément ennuyer ou tout simplement fasciner. Entre ces deux options, il peut y avoir un écoutant perplexe, incrédule ou intrigué, c’est selon. Nous aimons nous tenir dans cette dernière catégorie. Or donc, passé la cinquantaine, Larry Grenadier a conçu cet exercice comme une exploration de sa personnalité musicale, conscient que cette dernière s’est forgée en glanant (to glean : glaner) le long du chemin des influences diverses et variées, pas forcément musicales, qui ont nourri un jeu personnel toujours en devenir. Nous, on n’a rien contre les interrogations existentielles. Mais quand on a un disque entre les mains, on veut juste écouter de la musique. On veut même qu’elle nous émeuve et nous file des frissons quoi. C’est une fois convaincus par la musique que nous nous attardons sur le postulat émis par le musicien. Ou pas. On n’a pas toujours besoin de savoir. Dans ce disque, la musique nous a paru terrienne, ancrée dans une assise quasi tellurique. Ferme et dense, emplie de résonnances profondes, elle nous a sérieusement interpelés dans le bon sens du terme. Vibrante et sincère, jamais absconse, c’est ainsi qu’elle nous est apparue, ouvrant au fil des titres (leur relative brièveté aide à l’écoute) des paysages sonores contrastés et jamais lassants. Le contrebassiste de la côte ouest nous a semblé là serein, de ceux pour qui le questionnement n’est pas une angoisse mais plutôt une nécessité inhérente au progrès artistique. Comme on ne connait rien à la technique, on ne vous en parlera pas. Mais comme on aime la musique, nous nous permettons de vous dire clairement qu’il ne faut pas avoir peur de ce disque et qu’il est même très conseillé de se le procurer. La surprise sera calme et apaisante.


JAMIE SAFT STEVE SWALLOW BOBBY PREVITE

You don’t know the life

RareNoiseRecords

Jamie Saft : Orgue Hammond et Whitehall, Baldwin electric harpsichord
Steve Swallow : basse
Bobby Previte : batterie

Nous avions remarqué en 2018 avec bien du plaisir son disque « Blue dream », un disque plutôt jazz en quartet et nous retrouvons ici Jamie Saft avec une autre équipe afin d’explorer un autre univers. Et quelle équipe ! Steve Swallow et Bobby Previte rejoignent le new yorkais qui, lui, ne joue que de l’orgue. Si l’on est éloigné de Wild Bill Davis, de Jimmy Smith ou de Larry Young (encore que…), c’est bien parce que l’éclectisme de Jamie Saft est sa pierre angulaire, son alpha et son oméga et que seul compte son désir de liberté et d’expression musicale hors des cadres susceptibles de le retenir prisonnier. La musique de ce CD est éminemment collaborative et elle nous entraîne vers des territoires singuliers conçus dans une sorte de fluidité psychédélique où le rock et le jazz s’aspirent l’un et l’autre dans un beau mélange improvisatoire où l’onirisme est de mise et le lâcher prise aussi. Quelquefois introspectif avec la présence boisée si particulière de Steve Swallow, le mouvement musical se nourrit à toutes les sources avec une facilité déconcertante en marquant néanmoins toujours sa différence car le matériau de cet enregistrement est authentique par son angle d’approche narrative et son mode conversationnel. Si vous ajoutez à cela que Jamie Saft détient le pouvoir de composer des mélodies imparables, vous vous retrouvez devant un objet musical dont le pouvoir de séduction est implacable et vous nous saurez gré de vous l’avoir fait découvert…


FEDERICO CASAGRANDE / NICOLAS BIANCO

Sketch of mountain

IMR

Federico Casagrande : guitare
Nicolas Bianco  : contrebasse

Une rencontré entre un guitariste et un contrebassiste, tous les possibles d’un nouveau duo, c’est toujours (pour nous) quelque chose de spécial. Dans cet opus publié chez IMR (une bande de militants radicaux qui s’habillent avec des sous-pulls jazz depuis des décennies…), les compositions de Nicolas Bianco sont définitivement mélodiques. L’ambiance est à la sérénité et l’on sent que les deux musiciens n’ont pas à se chercher pour jouer de concert. Dans chaque morceau, la fluidité s’impose comme une évidence qui renforce les tours et détours empruntés par le guitariste et le contrebassiste. Federico Casagrande et Nicolas Bianco ne se privent de rien. Ils vont là où cela chante et jouent sur du velours, ce tissu dont la particularité est d’être lisse dans un sens et non dénué d’aspérités dans l’autre, ce qui le classe dans la catégorie des étoffes propices à la surprise, celles dont le moiré révèle des nuances insoupçonnées. Et c’est de cela qu’il s’agit avec cette musique profondément boisée, discrètement contemporaine, qui crée à l’écoute un sentiment de bien-être chez l’auditeur sans jamais le lasser. Le dernier morceau, en forme de codicille classique, ajoute à l’ensemble une once de douce mélancolie et son titre, « L’esprit des jeux de cordes », conclut le disque avec un à propos certain.


REMI DUMOULIN / BRUNO RUDER / ARNAUD BISCAY

Das Rainer trio

Neuklang

Rémi Dumoulin : saxophones, compositions
Bruno Ruder : Fender rhodes
Arnaud Biscay : batterie

Dans cet espace musical incertain où peut surgir la créativité, il s’en faut de peu qu’elle agonise ou se révèle dans toute sa splendeur. Das Rainer trio permet de retenir la deuxième option et c’est heureux pour les oreilles amoureuses du beau. Dans cet album, les musiciens savent aller à l’essentiel, à l’essence, sans être aucunement aride dans leur propos, bien au contraire. Et c’est tout l’art des ces trois-là que de livrer une musique ouverte à l’impromptu, dense et légère à la fois, sensible en toute occasion et remarquablement interprétée sur le fil d’une réelle inspiration. Mélodique pour le meilleur, rien de compliqué à déchiffrer laborieusement, cet enregistrement (six compositions originales, une reprise de Michel Legrand et une de Billy Strayhorn) laisse la part belle à l’émotion. Bruno Ruder, en orfèvre du Fender Rhodes, et Arnaud Biscay, tout en nuances, créent subtilement un cadre sur lequel le saxophoniste peut s’appuyer pour mieux s’envoler. Les thèmes, baignés dans cet esprit de liberté propre au jazz que l’on aime plus que tout, se chargent quasi naturellement d’une amplitude que l’on n’attribue qu’aux musiques bien nées, aux musiques créées par des formations symbiotiques peuplées d’âmes riches qui savent que le dialogue et l’imagination donnent sa dimension réelle à l’humain.


LOUIS HAYES / JUNIOR COOK Quintet

Live at Onkel Pö´s Carnegie Hall, Hambourg – 1976

NDR Info

Woody Shaw : trompette
Junior Cook : saxophone ténor
Ronnie Mathews : piano
Stafford James : contrebasse
Louis Hayes : batterie

Pour le coup avec ce live de 1976, enregistré à Hambourg par la NDR, on revient aux fondamentaux. Le quintet de Junior Cook (1934-1992) et Louis Hayes (1937, toujours bon pied bon œil), c’est du hard bop efficace. L’immense et un peu oublié Woody Shaw (1944-1989) est de la partie, Ronnie Mathews (1935-2008, vu avec Art Blakey, Max Roach, etc) tient les 88 notes et Stafford James (1946, il a joué avec trop de monde…) la contrebasse. Si ce quintet n’est pas resté dans les annales, c’est qu’il fut éphémère, comme bon nombre à cette époque. Mais on se prend à rêver qu’il ait duré car le potentiel est bien là. Sur des thèmes typiques du genre qui s’étire entre 10 et 22 minutes, les solistes se taillent la part du lion et ne mégotent pas, c’est le moins que l’on puisse dire. La rythmique est carrée et coriace. Elle porte les soufflants en compagnie d’un piano inspiré et chatoyant. Alors même si les musiciens de ce line-up ne sont pas parmi les plus connus, ce ne sont pas des seconds couteaux, loin s’en faut. Écoutez un solo de Woody Shaw ou de Junior Cook pour vous en convaincre. Cela devrait suffire. Qui plus est, l’enregistrement du concert est bien plus qu’honorable. Vous n’avez donc aucune raison de vous en priver de ce petit bout d’histoire du jazz, partie prenante d’une époque insouciante et rieuse où l’on fumait et buvait et riait, etc, dans des clubs bondés et festifs. Mais on ne vous fera pas le coup de « c’était mieux avant », quoique…


Quitter la version mobile