Jazz In Lyon

Hot-Club de Lyon : une révolution, OK. Mais pour faire quoi ?

Le 19 décembre, grâce à l’achat de dizaines de cartes d’adhérents, une nouvelle équipe s’est installée sans prévenir aux commandes du Hot, poussant l’ancienne à la porte. Parmi elle, de nombreux musiciens, soucieux que le caveau ne s’enferme pas dans un courant de jazz particulier et « redevienne » le caveau des musiciens. Reste à savoir désormais ce que sera le Hot, la plus vieille cave de jazz de Lyon, accessible à tous, où pratiquement tout le monde, musiciens comme spectateurs, a pu faire ses « classes » depuis 70 ans.

« Ce qui s’est passé ? C’est dégueulasse. Ils sont arrivés. Ont acheté des cartes par dizaines. Oui, par dizaines. Je ne sais même pas dans quelle mesure c’est légal …. ». Sophie en a les larmes aux yeux, attachée au Hot Club depuis des années, à ses destinées, à ses vents contraires. Omniprésente. Tout comme Danièle Perrodin, trésorière du Hot depuis 9 ans : « Ce soir-là, quand je suis sortie du Hot et c’est peut-être ce qui m’a fait le plus mal, ils étaient quatre ou cinq à fumer dehors. Ils exultaient, répétant « on a réussi notre putch ».

Depuis ce soir là du 19 décembre 2017 et de cette étonnante assemblée générale, elle n’a plus jamais remis les pieds rue Lanterne.

Pour le reste, comment appeler ce qui s’est passé ce soir-là dans l’auguste caveau où le Hot Club est installé depuis des années ? Renversement. Coup d’état. OPA inamicale. Putsch. Complot ? On ne sait. Restent les faits : le vénérable Hot Club de Lyon (70 ans dans quelques semaines) a vécu fin décembre, une petite révolution dont il a le secret. Ni la première, ni la dernière me direz-vous mais, bien malin qui pourrait dire à cette heure quelle portée exacte l’événement aura sur son avenir.

Retour sur les faits et d’abord fin novembre pour ce qui pourrait ressembler à un galop d’essai. Ce 21 novembre, 20 heures, le Hot-Club tient au 26 rue Lanterne, son assemblée générale annuelle, exercice obligé pour toute association 1901. « On était une vingtaine de participants, tout au plus » se souvient Gérard Vidon, président du lieu. Sauf qu’au lieu d’entériner sans plus de manières bilan et autre rapport moral, les présents se déchirent au point de décider de reporter au 19 décembre la dite assemblée. Funeste décision. « Ils ont très mal joué en se quittant comme ça», explique l’un des musiciens présents ce soir-là.

Car dans les jours qui viennent, diverses personnes –musiciens, élèves de conservatoire et personnes moins identifiées- poussent les portes du Hot-Club et « prennent leur carte » d’adhérents. Sans plus de manières. Sans commentaires. A 10 euros la carte, rien de plus simple, surtout qu’aucune condition n’est posée pour devenir membre du Hot. « Il y en a un, il en a pris 30 d’un coup », se souvient Gérard Vidon. « Karim est passé, il en a pris 23 à lui seul », certifie un autre.

Au fil des jours, ce sont ainsi plusieurs dizaines de cartes d’adhésion qui sont ainsi acquises. Ironie de l’histoire : le Hot n’avait jamais connu en si peu de temps un tel engouement.

Sauf que, on l’a compris, le dit engouement n’a rien de véritablement spontané : en fait, à l’appel de quelques-uns –figures incontournables du Hot-Club, dont Olivier Truchot-, de nombreux musiciens, non-musiciens, élèves d’écoles de musique, de conservatoire, de l’ENM de Villeurbanne, plus un certain Pierre Sigaux, qui aura largement conseillé les nouveaux venus sur la manière d’agir, ont été invités à se mobiliser en vue de prendre les rênes du caveau. « Tout y était : on conseillait même aux non-membres de remplir le modèle de procuration et de laisser en blanc le nom du mandataire », note l’une des personnes remerciées. Selon d’autres, ils sont plusieurs à avoir joué ici un rôle de conseiller, passant en revue les statuts, invitant chacun à prendre sa carte de musicien pour disposer in fine de la plus grosse majorité possible, appelant les uns et les autres à ne pas oublier de récupérer les dites cartes « avant le 16 décembre ».

                                                                                 L’ancien et le nouveau président

Ron Carter ? Le Hot y avait laissé sa chemise

La raison de ce « complot » ? Apparemment, l’évolution de la programmation. Le Hot, qui organise on le sait des concerts quotidiens du mercredi au samedi inclus, s’est mis à privilégier de plus en plus quelques grandes tendances : pour faire court, le new-Orleans, les big bands et le blues. Au grand dam de musiciens piliers du caveau qui s’inscrivent dans des courants de jazz plus modernes, plus risqués, plus ambitieux. Querelle des anciens contre les modernes ?

Pas vraiment, pas seulement. Pour Gérard Vidon et ceux qui l’entourent, nécessité fait loi. « Le caveau peut accueillir 85-90 personnes. Et les entrées –à 12 euros, voire 10 à tarif réduit- sont nos seules recettes. Tu fais vite le compte». Face à la baisse constante des subventions et du redressement fiscal en cours, priorité est de plus en plus donnée à l’augmentation des recettes propres, condition de la survie du haut lieu. D’où le choix répété de formations new-Orleans ou blues, lesquelles attirent en effet de façon quasi systématique un plus large public. « Tu comprends : tu mets un trio. Il a beau être talentueux, on finit la soirée avec six spectateurs payants. C’est pas tenable ».

Personne n’a oublié certains ratages d’une toute autre envergure, tel celui de Ron Carter il y a plusieurs années. Malgré deux sets et des entrées revues à la hausse, le Hot y avait laissé sa chemise. Ça n’a rien de nouveau : de tous temps, tous ceux qui ont été aux commandes du Hot ont eu à affronter ce dilemme entre « assurer le coup » et s’ouvrir à de nouveaux courants. Danièle Perrodin le reconnaît d’ailleurs volontiers : « moi, mon modèle c’était le Caveau de la Huchette à Paris ».

 

Une contestation qui prend de l’ampleur

A-t-on poussé le bouchon trop loin, surtout que l’équipe aux commandes en arrivait à se diviser sur l’objectif poursuivi ? Au fil des mois en tout cas, la contestation n’a cessé de grimper. Ce fut d’abord le remplacement des personnes chargées de la programmation (de mémoire Olivier, Karim et Stéphane). « Encore que ce n’est pas un choix artistique qui a poussé à changer, mais on n’arrivait pas à avoir dans les temps le programme à annoncer », se souvient Danièle. Larvée, informelle au départ, la contestation a pris de l’ampleur jusqu’à vraiment se cimenter fin novembre après cette première AG infructueuse. Ce fut alors un appel à la mobilisation. Mot d’ordre : «Que les musiciens reprennent le pouvoir au Hot ». Le message fait « tilt » : durant un mois, échange de mails collectifs, achat de cartes, examen des statuts du Hot-Club se multiplient avec, en ligne de mire, cette nouvelle assemblée générale convoquée fin décembre.

Un contrôle de fiscal enfin acquitté

Arrive le 19 décembre. Il est 20 heures ce soir-là. Sous-sol du 22 rue Lanterne. La nouvelle assemblée générale doit s’ouvrir dans quelques instants. Et donc prolonger ou renouveler son bureau. Gérard Vidon, réélu d’année en année président, voit enfin le bout du tunnel. Fin 2018 en effet, le Hot en aura enfin fini avec ce redressement fiscal imposé 8 ans auparavant et dont la dernière traite est fixée au 10 décembre 2018.

Dans le détail, la dette du contrôle fiscal était en 2009 de 66 000 euros. Danièle Perrodin et Gérard Vidon avaient négocié un remboursement sur 7 ans (20% à acquitter la première année puis 13% sur six ans). En 2018, le Hot voit enfin le bout du tunnel il lui reste en effet 7 000 euros à régler.

Une sacrée échéance pour l’association 1901 qui, manage le club depuis l’origine et qui, dans le même temps, a vu ses subventions fondre comme neige au soleil, l’obligeant de plus en plus à surveiller ses comptes à l’euro près, à mettre de l’ordre dans son organisation et surtout à imposer une programmation « rentable ». A dire vrai, d’ailleurs, lorsque ce redressement était « tombé », peu nombreux étaient ceux qui pensaient que le Hot Club arriverait à s’acquitter de sa dette.

Sauf que ce soir-là, les choses ne se passent pas comme prévu : quelques heures avant l’AG, tous les nouveaux membres sont conviés à se retrouver (à 18h30) au « Second Souflle », restaurant jazzy situé à quelques pas de là, rue Neuve. L’idée, déjà largement abordée sur internet les jours précédents, est de mettre sur pied une autre approche, une autre organisation, et surtout un autre projet musical. (Voir ci-dessous les projets de la nouvelle équipe présidée par Sami).

A 20 heures, tous les participants à cette réunion prennent la direction du Hot-Club, distant de quelques dizaines de mètres et s’installent pour prendre part à l’assemblée générale, carte de membre ou pouvoirs en main. « Ce fut électrique, se souvient Danièle Perrodin. Tous ces gens qui arrivaient, s’asseyaient. Il n’y avait même pas de débat possible ».

Et, au lieu d’un blanc-seing général donné pour bonne gestion à l’équipe présente, en quelques minutes, une majorité de votants met en minorité le bureau sortant qui n’a plus qu’à quitter la place.

Aussitôt, Gérard Vidon, président « historique » du Hot, Danièle Perrodin et Pascal Feltrin jettent l’éponge : ceux qui présidaient aux destinées du Hot depuis près de dix ans étaient en effet remerciés. Malgré un bilan comptable plus qu’appréciable au vu de ce redressement fiscal qui aura perturbé durant près de 10 ans les ambitions du caveau. « C’était facile pour eux, se désole l’un des musiciens présents. On avait pratiquement fini de rembourser ce redressement fiscal. 1 000 euros par mois pendant près de 10 ans. Il faut se rendre compte de ce que ça représente quand on vend l’entrée à 12 euros et le verre de bière à 3 euros. Et là, au moment où on voit le bout, ils arrivent et ramassent la mise. Je ne sais pas comment appeler ça ».

Les mois prochains seront déterminants

Reste à savoir évidemment pour en faire quoi : Deux mois et demi après, les choses se mettent peu à peu en place au 26 rue Lanterne. La nouvelle équipe, sans doute étonnée d’une si facile victoire, s’est donnée du temps pour peaufiner son projet. Car elle a , somme toute, commencé par le plus simple, une conquête sans avoir à livrer bataille. On reste d’ailleurs confondu par la facilité avec laquelle le Hot-Club septuagénaire était « prenable ». « Dommage que ce soit passé comme ça, souligne tout de même l’un des présents à l’AG, une transition en douceur aurait été largement préférable ».

En tout cas, d’ores et déjà, la programmation quotidienne a évolué, privilégiant jazz moderne et formations contemporaines, quitte à moins remplir. Disposant de finances assainies, la nouvelle équipe fixe à septembre prochain la présentation de son projet, souhaitant profiter des six mois en cours pour le tester grandeur nature. (Lire ci-dessous). En substance, la nouvelle équipe souhaiterait s’éloigner du cap précédent, style « Rue de la Huchette », pour en arriver plus ou moins à un « Duc des Lombards ». Soit une totale redéfinition des lieux et du public : faire payer une entrée 12 euros et le verre de bière 3,50 euros est une chose. La passer, comme au Duc, à 25 euros et la boisson à 5 ou 6 euros en est une autre. Certes, le Bémol 5, de l’autre côté de la Saône, qui a plutôt privilégié cette formule (avec restauration) est en passe de réussir son pari. « Mais le Hot, ce sont des jeunes, des étudiants qui n’ont pas trop d’argent ou des retraités qui comptent également leurs sous », remarque, du haut de ses 37 ans d’expérience du Hot, Gérard Vidon.

Les mois prochains seront, on le comprend, déterminants pour le Caveau, surtout à partir de l’instant où aura démarré (début juin) le Péristyle, rival sans le vouloir du Caveau.

Jusqu’à présent en tout cas, le Hot-Club a toujours su se remettre de tels « schismes » (l’ARFI, le départ du New-Orleans vers Le Boulevardier etc.).

Il est évidemment plus que souhaitable qu’il se remette de celui-là..

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La nouvelle équipe parie sur une métamorphose du Hot-Club

La rupture se lit d’abord dans les équipes : c’est désormais Sami Chidiac qui préside le Hot-Club de Lyon, succédant donc à Gérard Vidon. Il est au civil à la tête du restaurant-salle de concert Jazz Le second souffle, implanté rue Neuve, d’une capacité de 40 couverts et qui accueille également les amateurs le temps d’un verre.

Avec la nouvelle équipe désignée au soir de l’AG du 19 décembre, il compte donner au Hot-Club une autre dimension, grâce à des recettes multipliées et grâce à un réaménagement d’ampleur du sous-sol dans lequel le Caveau est installé.

Avant de fixer les choses, le nouveau bureau s’est donnée deux échéances : une première qui a duré jusqu’à fin février (« garder ce qu’a fait l’équipe précédente »), et une deuxième, la plus importante, prévue pour durer jusqu’en septembre prochain et qui doit permettre de boucler le projet. A Gilles Courbon le soin de la programmation de transition. Enfin en septembre prochain, Sami Chidiac compte avoir mis en place un « business plan » pluriannuel.

Un projet d’importance : l’idée est de faire évoluer le caveau vers une « plate-forme de jazz qui relie tous les acteurs du jazz ». Et avant tout les musiciens : « ils font un travail magnifique, l’idée c’est de les mettre en valeur. Et c’est aussi l’idée de créer une émulation. D’implanter un lieu de regroupement avec toutes les écoles. Et que ce soit un lieu qui vise à la professionnalisation ».

Autour de Sami Chidiac, plusieurs personnes qui ont notamment pris la direction de cinq « commissions » (dont Stratégie et Développement, Technique et Sociale, Communication, Programmation etc…) ou qui comptent agir comme conseillers. Parmi elles, Olivier Truchot, Pascal Derathé, Pierre Sigaud, Jean-Louis Almosnino, Gilles Courbon

Dans un premier temps, il s’agit d’augmenter significativement le budget et les recettes, par deux ? par trois ? Trop tôt pour le dire. Mais toutes les pistes sont retenues : les nouvelles recettes doivent venir des entrées, des consommations prises au bar, comme des subventions, des partenariats ou des sponsors sollicités. Pour y parvenir, le caveau compte changer d’échelle en ouvrant notamment de 4 heures de l’après-midi à 4 heures du matin (et non plus de 20h30 à 1h) et en obtenant une « Licence 4 », permettant de vendre autre chose que de la bière, des jus de fruits et des verres de vin.

Cela irait de pair avec des travaux d’importance pour améliorer le confort et pour étendre la surface du Hot Club en sous-sol, idée déjà retenue par le passé mais qui n’a pas vu le jour en raison du manque de moyens. Selon Sami Chidiac, ils pourraient s’élever entre 300 000 et 400 000 euros. D’ores et déjà deux architectes ont été contactés à ce sujet.

En attendant, le Hot-Club doit faire face à deux échéances plus rapprochées : son festival annuel qui se déroule traditionnellement en avril et qui avait dû réduire la toile pour cause d’économies ces dernières années. Et surtout son 70ème anniversaire, sur lequel avait déjà commencé à travailler l’ancienne équipe.

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