Jazz In Lyon

Et Jean-Paul Boutellier fonda l’un des plus gros festivals de jazz européens….. à Vienne, et non pas à Lyon

L’histoire est connue : féru de jazz, Jean-Paul Boutellier voulait créer à Lyon, dans les années 80, un festival de jazz. Les réticences de la ville et de ses élus firent que l’évènement finit par atterrir dans le fameux théâtre antique de Vienne. En moins de cinq ans, Jazz à Vienne s’imposa comme l’un des plus grands festivals de jazz en Europe

Une curiosité de l’histoire ? Lyon n’a jamais abrité de grand festival de jazz. A la différence de ses banlieues qui, elles, en ont accueilli pendant des décennies. Sans parler bien sûr de Jazz à Vienne. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

JPB : Je pense qu’il faut regarder les choses de façon plus globale. Et donc au-delà du jazz. Si l’on examine ce qui se passe ou s’est passé à Lyon, que voit-on en matière de festivals ? A mon avis, tous les festivals qui ont vu le jour ne sont pas le fait de velléités municipales. A l’origine, ce sont à chaque fois des velléités individuelles : Les Nuits Sonores, la Danse, Le Festival Lumière, les Nuits de Fourvière…
La seule chose qu’ont voulu les édiles lyonnais, ce fut « les Pennons de Lyon », à l’image de ce qui se faisait à Sienne. Ca correspondait aux fêtes de la Saint-Jean et ça comprenait beaucoup de choses. Je me souviens notamment de spectacles africains. Il y avait beaucoup d’animations. A part ça, on peut retenir le festival Berlioz, en liaison avec la Côte Saint-André. Il y avait d’ailleurs plus de choses à Lyon que là-bas.
En revanche, en effet, le jazz a été très présent en banlieue. A Saint-Fons. A Franchevile où se trouvait un adjoint très volontaire. Ou encore à Saint-Priest avec la création du big band. Sans parler du Rhino, de La Doua ou d’A Vaulx-Jazz.

Comme si le jazz était interdit de Cité ?

J-P. B. A mon sens, les festivals étaient d’abord créés pour des raisons touristiques. Or, le tourisme n’intéressait pas la ville de Lyon, dans le sens où Lyon était considérée comme une ville de passage, comme une ville malsaine, de par son climat. Et quand on regarde l’histoire de Lyon, peu de monde a vraiment agi pour embellir la ville. S’il n’y avait pas eu Régis Neyret pour sauver le Vieux Lyon, où en serait-on aujourd’hui ?

Mais, outre celles du Hot Club de Lyon et du Péristyle de l’Opéra de Lyon, y’a-t-il eu des velléités de lancer à Lyon,un festival ?

J-P.B. : Oui, il y avait Jazz à Lyon qui accueillait des gros publicitaires ou des gens comme Monsieur Pitance. Il y a eu deux tentatives dont une en relation avec Montreux. Ils avaient approché Claude Nobs et envisagé un jumelage avec lui. Ca se passait vers la fin des années 70, mais ça a capoté.

J’ai notamment le souvenir d’un repas organisé à cette époque chez Léon de Lyon. Le but était de demander à André Mure, adjoint à la Culture, de lancer plus de concerts pour Jazz à Lyon. Ca avait été un chou blanc total.

A cette époque, c’était le démarrage de Jazz à Vienne mais j’avais encore des actions à Lyon. Je faisais une dizaine de concerts à la Maison de la Danse où j’ai le souvenir d’avoir accueilli Carla Bley à l’Opéra.

J’ai d’autres souvenirs aussi, comme ce repas officiel au restaurant des Muses où la ville de Lyon recevait des Allemands, et comptait réaliser un jumelage à des fins culturelles. Ce qui m’avait frappé c’est que nos interlocuteurs que nous présentait Najat Vallaud-Belkacem connaissaient tous Jazz à Vienne.

« L’Institution est souvent tueuse de rêves »

Mais, qu’est-ce qui a fait que le festival que vous vouliez créer à Lyon a fini par prospérer à Vienne ? Fourvière ne présentait-il pas de multiples avantages ?

J-P. B. Je ne voulais pas de Fourvière pour plusieurs raisons : la proximité de l’hôpital de l’Antiquaille et l’application d’une contrainte d’horaires, stricte à l’époque. Par ailleurs, j’estimais que Fourvière n’était pas assez grand pour amortir certains concerts.
C’est pour cela que je voulais le parc de la Tête d’Or où j’aurais pu organiser des choses de différentes tailles, petites ou grandes, jusqu’au vélodrome qui pouvait accueillir 6 000 personnes.

« Jazz à Vienne n’a rien coûté à la ville »

En créant ce festival à Vienne, qu’est-ce que cela a coûté à cette ville ?

J-P B. Ça n’a rien coûté à la ville. La seule chose qui a demandé un financement ce fut Carmen. Mais j’insiste, le festival au Théâtre Antique -sans les animations qui se sont rajoutées par la suite- a toujours été bénéficiaire et, contrairement à ce qu’on pourrait croire, les « accueils » (les concerts autres que ceux du festival) n’ont pas rapporté tant d’argent. Il y avait une synergie que l’EPIC a cassée.

Quel accord aviez-vous passé avec Vienne ?

J-P. B :Les choses avaient été simples. On m’avait présenté Jean Gueffier, adjoint à la Culture de Vienne, et Pierre Domeyne, qui ont eu confiance en moi. A l’époque, ils étaient à la recherche d’un évènement tel un festival de danse. Guy Darmet n’avait pas encore créé son évènement. Pierre Domeyne, président de Vienne Action Culturelle, était plutôt féru de théâtre, de danse et de cinéma. On connaissait déjà les qualités du théâtre antique : il avait déjà accueilli des évènements tel Frank Zappa, en 1980, époustouflant.
Quand j’arrive, je tombe à pic. A Lyon, j’avais déjà mes abonnés. Je savais qu’ils allaient se déplacer.

« Dès le départ, j’ai voulu aller vite »…

Reste à expliquer : comment le festival de jazz que Lyon ne voulait pas s’est-il propulsé en quelques éditions comme l’un des évènements-phare du jazz en France ?

J-PB : En effet, la première année, on avait prévu 5 jours de concerts. Arrive la deuxième année : j’ai voulu aller très vite. Jean Gueffier, je me souviens, était plus prudent, s’inquiétant du prix des cachets. Mais que ce soit avec Ella en 1983 ou Miles en 1984, j’ai voulu au contraire aller vite. Si nous ne l’avions pas fait, d’autres l’auraient fait. Ca m’a, entre autres, permis d’avoir des relations apaisées avec Lyon qui ne venait pas sur nos plates-bandes. Et cela a toujours été respecté jusqu’à il y a peu de temps. J’avais passé un accord avec Dominique Delorme, le patron des Nuits de Fourvière, jusqu’à réaliser avec lui des conférences de presse communes.
J’avoue que je ne comprends pas ce qui s’est passé par la suite où tout a été cassé : la collaboration avec le Rhino, l’accord avec le Crédit Agricole et avec France Telecom. Et que dire des locations de piano d’Yves Dugas, de la Pyramide ou des chauffeurs bénévoles qui ont été remerciés.

A la différence de Marciac qui avait réussi à se rapprocher d’Airbus, comment expliquer que Jazz à Vienne n’ait jamais passé d’accord avec un gros acteur de la région comme Renault V.I. ?

J-P.B.J’avais approché différentes grosses structures comme Rhône-Poulenc, ou des gens qui voulaient créer une image. Ca a été France Telecom. Non seulement ils donnaient de l’argent mais leur CE nous achetait beaucoup de billets. Ca a été énorme pour nous. Nous avons toujours eu d’excellents rapports et ca a duré longtemps.

Quel mot de la fin, en matière de festivals ?

J-P. B. : Peut-être que l’Institution est souvent tueuse de rêves… surtout pour toute l’équipe que de tels évènements mobilisent.

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