Jazz In Lyon

A Parfum de Jazz-Cécile McLorin Salvant : du bout des lèvres, une intimité simplissime

De la jeune chanteuse et du pianiste Sullivan Fortner, qui tirait les ficelles de ce moment de grâce dans cette nuit lunaire de Buis-les-Baronnies ? Ce fut comme une longue causerie intimiste, délicate, à l’aide d’un arc-en-ciel de thèmes piochés dans tous les répertoires.

Elle a survolé son concert. Une suite de ballades à deux. Elle et « son » pianiste. Sorte de duo miroir, totalement complémentaire, emboîté. Au point qu’on pouvait se demander s’il s’agissait bien du récital de Cécile McLorin ou de celui de ce jeune homme -mines facétieuses, doigts arachnéens- qui campait au bout de l’interminable Steinway réquisitionné pour l’occasion. Qui tirait vraiment les ficelles de ce moment de grâce ? Qui emmenait l’autre vers autre part ou plus loin ?

On aura passé la rencontre à se poser la question, pour mieux comprendre comment tout cela fonctionnait et s’imposait si facilement à un public conquis.

Evacuons d’emblée ce qui pourtant retient l’attention à l’entrée de la jeune chanteuse. Non le cheveu toujours très court ou les lunettes plus sobres qu’à l’habitude. Mais d’incroyables pantoufles à long poil de lama (…pour le lama, pas sûr), couleur orange pastel, dignes d’une cantatrice au moment d’entrer en scène.

Une causerie plus qu’un concert ou un récital. Une longue confidence

Pour le reste, ces 90 minutes passées dans une nuit lunaire à Buis-les-Baronnies aura tenu toutes ses promesses. Celle d’une causerie plus que d’un concert ou d’un récital. D’une longue confidence. Au gré des humeurs, des sentiments, de l’intimité qui semble se nouer et se renouer sous nos yeux entre la jeune chanteuse et Sullivan Fortner, comparse, accompagnateur, qui, en deux accords, donne existence au thème souhaité par la chanteuse. Sur certains morceaux, l’interpénétration du piano et de la voix touche au sublime. Exemple : « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? ».

Texte d’Aragon mais rage de Léo Ferré pour livrer une interprétation moins désabusée de ce texte bouleversant. Encore que : comme si le pianiste de La Nouvelle Orléans, passé par Roy Hargrove, cherchait, sur chaque thème, à déjouer la trame trop facile exposée par la chanteuse. Mais, au final, c’est moins la qualité du chant que la justesse de l’expression qui vous retient. Chaque mot pesé, pensé pour mieux le transmettre, porté par la finesse du pianiste. L’équilibre est parfait.

Une scène posée à même le sol, à portée de mains

On dévala tout d’une traite. Débuts un peu hésitants. S’habituer au silence, à la respiration. Le temps de trouver un ton juste, celui qui collera à l’ambiance champêtre mais attentionnée, du lieu, sur une scène posée à même le sol, à portée de mains. Avantage : on entre d’autant plus facilement dans l’intimité du duo. Au-delà de tout le talent, du brio du jeune couple qui concentre les regards, là est sans doute la magie de l’instant.

Cécile McLorin est aussi convaincante en français qu’en anglais. Tour à tour canaille, ingénue, profonde, selon le moment et le répertoire choisi : ici cabaret, là, thème du répertoire américain. Lorsqu’elle chante « j’ai le cafard », ou lorsqu’elle conclut sur un « Body and Soul » ou du Chopin, c’est la même facilité de mots, de diction, d’expression. Et par là, la même conviction qui résonne et s’amplifie. Pourtant, aucun effet de voix, aucune grandiloquence, tout le contraire. D’ailleurs, lorsqu’elle reviendra pour un troisième rappel, seule, c’est quasi a capella qu’elle susurrera que, cette fois, la soirée est bien finie.

Bref, on a beau s’y attendre, avoir en tête l’album qui précède et explique le concert, on a beau penser qu’il y a mieux à faire que de replonger dans le passé, dans le ragtime, dans une époque adulée, sublimée, proche de West Side Story, on se dit alors qu’il y a tout de même un paquet de facettes qui jusqu’ici nous avait échappées.

Deux ou trois thèmes avec Jean-François Bonnel, précieux initiateur

Et puis, pour finir, il y eut ce moment. Pour le comprendre, retour sur les jeunes années de la petite Cécile, qui avait découvert le chant à Miami, patrie d’enfance mais qui débarque un jour à Aix-en Provence à l’orée de ses 18 ans.

Partie pour ingurgiter du droit dans tout ce qu’il a de non-improvisé, voilà que notre jeune américaine décide de pratiquer l’art lyrique. On n’a pas tout compris : elle passe une audition au conservatoire de la ville dans la section jazz.

Elle s’y voit lamentable, frappée par ce qu’elle croit être l’inimitié d’un des profs du jury. Ayant déjà tourné la page, elle retrouve quelques instants après dans la rue le prof en question ; lequel, contre toute attente, la presse de se présenter à l’audition finale. Qu’elle remportera haut la main.

Elle restera près de quatre ans à Aix (de 2008 à 2011) avec ce prof, par ailleurs vieux routier de la scène jazz, à s’initier au jazz vocal. Jeudi à Buis, sans plus de manière, elle l’invita à la rejoindre sur scène. Le temps d’assembler sa clarinette, Jean-François Bonnel lui a emboîté le pas.

Précieuse conclusion.

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